Série CARNET DE VOYAGE D’UN CANADIEN AU SÉNÉGAL (CVCS) publié en articles dans le cadre du 7e anniversaire de ce voyage initiatique réalisé en février 2013 dans le cadre d’une mission militaire de formation au Sénégal. Ici, le quatrième article d’une série de douze.
No de classement : SEN1-04
Titre : La vie pas si rose près du Lac Rose. Première partie.
ARTICLE SUIVANT SEN1-05 : https://lesparolesdechris.wordpress.com/2023/02/18/voyage-decouvertes-sen1-05-goree-lile-aux-esclaves/
ARTICLE PRÉCÉDENT SEN1-03 : https://lesparolesdechris.wordpress.com/2013/03/05/voyage-decouverte-sen03-lecons-a-la-dakaroise/
Album photos : https://www.facebook.com/christophe.cote.355/media_set?set=a.10152154341220353&type=3
8 ou 9 fev 2013
Jour 6 ou 7
Je me réveille la bouche pâteuse, le ciel est blanc, les oiseaux vont vers la mer. Grosse journée aujourd’hui, première sortie officielle de notre groupe.
Afin de conduire adéquatement l’instruction pour laquelle nous étions à Dakar, l’équipe d’instructeurs dont je faisais partie avait besoin de mener une sortie de préparation dans des villages avoisinants la région de Dakar.
J’ignore comment ces villages avaient étés sélectionnés à l’origine, mais il s’agissait de 4 petits, très petits hameaux de maisonnettes réunis au hasard des vents. Ils étaient tous situés dans la région touristique du Lac Rose.
Nous sommes donc partis très tôt le matin, avant la levée du jour, et avant les embouteillages, afin de nous rendre dans notre zone d’opération, pour en faire tel que convenu la «reconnaissance». Pour cela, il s’agit de nous rendre dans les villages avec lesquels des arrangements ont déjà étés prévus, afin de rencontrer les dirigeants locaux et confirmer et planifier notre venue de la semaine prochaine avec les étudiants du cours.
Pour moi, il s’agira de mon premier contact à vie avec des habitants locaux hors de la ville. Ils ne parlent pas français, uniquement le Wolof. Pas de problème, nous avons des interprètes.
Déplacement
De l’hôtel, au centre de Dakar, nous nous dirigeons vers la banlieue en empruntant les autoroutes. Je suis très excité à l’idée de sortir de la ville pour aller à la rencontre de «vrais» africains sénégalais, des gens encore moins touchés par l’occidentalisation. Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre.
Nous sommes assis dans la boîte de notre véhicule de transport : un pick-up qu’on appelle Autobot, parce qu’il a une tête de «Transformers», comme dans le film, collée sur les portes avant. Ce pick-up a un banc soudé au fond de la boîte, sur le sens de la longueur, on peut ainsi s’asseoir à trois de chaque côtés, face vers l’extérieur, les pieds sur le bord de la boîte, tête au vent. C’est tellement cool de voyager ainsi, sans aucunes normes de sécurité, aux aléas de la bonne conscience, Inch Allah! Cela rend le déplacement irréel, singulier, car tu sais que tu n’es pas chez vous quand tu voyage sur l’autoroute, dans une boîte de pick-up, sans ceinture…
Je découvre la banlieue au fil des kilomètres. Enlignement et succession sans fin de bâtiments de béton, à divers stades d’avancement des travaux. Enchevêtrements de fils électriques sans ordre, de poteaux chambranlants et de poutres de bétons avec des tiges d’armatures en acier qui dépassent des extrémités. Les slogans électoraux et les graffitis ornent chaque mètres de bordure autoroutière. Et quand le parles de slogans électoraux, je ne parle pas d’affiches en plastique rétractables, mais bien de slogans écrits à la canette sur tous les biens publics… pour la campagne de 2012. Pendant longtemps encore nous liront le nom de MACKY SALL. On dirait que l’on ne pense pas à long terme ici. On ne pense pas que lorsque la campagne sera finie, il faudra retirer les slogans… redonner l’espace aux citoyens.
Les kilomètres défilent, le jour n’est toujours pas levé, il fait froid au grand vent. Incroyable la façon dont le soleil apparaît et disparaît ici. Tout d’un coup. Et soudainement, il fait chaud. PÂW!
Le soleil apparaît alors que nous traversons la cité de Keur Massar. Je vois mes premiers baobabs en banlieue de Dakar, intégrés dans la création de ces nouvelles cités. Imaginez vous de rouler dans un nouveau quartier en construction, avec des chantiers ouverts à chaque coin de rues. Des rues en sable, des tuyaux d’égouts et de conduites d’eau qui longent les bordures, des façades de maison sur le béton directement, des tas de sable, gravier, béton en poudre, tiges d’acier… partout le quartier se construit. Nous traversons cette future cité-dortoir et approchons de notre destination.
Le Lac Rose
Le Lac Rose est un endroit situé à une vingtaine de KM de la ville, réputée pour ce lac tellement chargé en sel qu’il apparaît rose à certaine lumière du jour. Il s’agit d’une masse d’eau morte de quelques km carrés, à peine 5 pieds d’eau de profond. C’est un lieu touristique, et à petite dose, il est reconnu pour des propriétés curatives comme celles de la mer morte.
Sauf qu’il existe aussi la haute dose, qui elle est moins curative. Les gens exploitent la ressource en extirpant le sel à la main directement du fond du lac. Il s’agit d’un travail incroyablement difficile. Ils passent la journée dans cette eau si salée que rien n’y vit. Les «pêcheurs de sel» doivent s’enduire le corps de beurre de karité, ou beurre de cacao avant de se plonger dans l’eau, et protéger toutes lésions, car la surexposition au sel détruit la peau. En plus, les femmes m’a-t-on dit, perdent la vue après quelques années de travail, car elles sont constamment soumises aux reflets aveuglants du soleil sur l’eau. Elles se brûlent la peau par le sel, les yeux par le soleil et la santé par l’esclavage organisé en une courte vie. Il y a un taux de mortalité de moins de cinquante ans dans la région.
Imaginez être dans l’eau jusqu’aux épaules. Votre barque porteuse est ancrée prêt de vous. Vous sortez le sel du fond de l’eau à l’aide d’une sorte de pelle quelconque. Certains doivent plonger à chaque pelletée, d’autres ont des manches et travaillent différemment. Mais tous doivent en bout de ligne soulever le poids de la charge ramassée. N’oublions pas que c’est du sel, chargé d’eau. Ils doivent l’extraire de l’eau, et le soulever au dessus du niveau des épaules afin de le verser dans la barque. À chaque pelletée. Ils doivent ramasser au moins un mille livre de sel en une journée. Sans doute plus.
Une fois le sel extrait de l’eau, ils trainent la barque lourde et chargé d’un dur labeur jusqu’au bord du lac, ou des membres de la famille ou autres viennent aider au déchargement de la barque. Chaque famille a son tas de sel, plus ou moins loin de la rive, et les chemins qui en permettent l’accès se faufilent entre les butes énormes qui peuplent toute la rive, sur un demi km de large et 1.5 de long. Des milliers de tas de sel, chacun appartenant à un ouvrier du sel africain. Des milliers de voyages, de millions de mouvements pour accumuler des milliards de grains… qui se vendront des fractions de francs, à peine.
Le programme alimentaire mondial (PAM) est derrière l’initiative qui encourage les producteurs de sel à l’ioder avant de le mettre en sac, afin d’offrir du sel iodé qui participe à une bonne santé pour toute l’Afrique. Car il n’y a pas de sel dans bien des pays. Alors l’ONU encourage le travail organisé plutôt que l’exploitation agraire et anarchique d’une ressource disponible, avec les moyens locaux. Une majorité des sacs de distribution sont frappés du logo de l’ONU. C’est crédible, c’est très bien.
Premier village
Nous poursuivons entre les dunes pour nous diriger vers notre premier village. Comme déjà mentionné, notre objectif est de rencontrer les dirigeants de chaque village pour fixer les modalités de nos visites avec nos étudiants la semaine suivante. Chaque instructeur s’est vu «assigner un village» duquel il est responsable pour l’utiliser comme environnement d’apprentissage en situation réelle. Nous faisons une vrai étude de village, en rencontrant du vrai monde, pour en faire une réelle analyse dans un contexte virtuel d’opération militaire. Cela est très stimulant et intéressant.
Nous entrons à l’intérieur des terres, le soleil est apparu maintenant, bas sur l’horizon. Le chemin devient cahoteux… en fait il n’y a plus vraiment de chemin, seulement des roulières au milieu de champs de coquillages et de dunes de sables. Sur des km et des km, nous longeons des petits lopins séparés par des lignées de coquillages. Étant proche de la mer, il s’agissait d’un matériau idéal pour délimiter les espaces de culture maraîchères. Partout dans les champs, malgré l’heure très matinale, des dizaines de fermiers arrosent des champs de choux, de persil, de courges, de fines herbes de toutes sortes. Tous les champs sont impeccables, aucune mauvaises herbes. Les ouvriers font tout manuellement, pas de grosse machines. Il s’agit d’exploitations à dimension humaines, qui respectent les cycles de la nature et la capacité de production des sols. Nous saluons, ils nous renvois la main avec le sourire. Que de beaux sourires!
Nous arrivons au premier village, au bout d’un chemin de sable. Tout n’est que sable. Il y a de petites huttes en paille, mais plusieurs maisons en «dur». Laissant nos 4X4 à l’entrée du village, nous marchons pour nous diriger vers le centre. Nous ne croisons que quelques enfants curieux, qui se mettent à crier en courant vers les maisons. Cela ne prend que quelques minutes pour que nous soyons joints par des adultes, qui préviennent les chefs de notre arrivée. Des chèvres nous observent la gueule pleine de chsais-pas-quoi. Il y a des bébés chevreaux. C’est joli à fond, elles sont joueuses et taquines, comme des petits chiens.
Le conseil s’installe. Je suis impressionné, un à un les anciens se réunissent, on amène des chaises de plastique, devant la maison du chef, on forme un cercle, des gens se joignent à nous, ils se saluent tous en serrant chacune des mains, l’un après l’autre. Je reste debout en offrant mon siège à un homme de la place, mais il refuse et me force à m’asseoir. Signe de considération. Le but caché de nos rencontres est noble : Au-delà d’informer les villageois sur notre venue prochaine, nous désirons cerner des petits besoins qui pourraient être comblés par de petits cadeaux de reconnaissance. Nous n’achetons pas leur participation, puisqu’il n’est jamais mentionné que nous leur offriront un remerciement. Cela doit rester une surprise pour eux. Mais en sachant combien d’enfants ils ont, de quoi il ont besoin à l’école et autres bricoles, cela nous permet d’acheter des ballons de foot, du matériel scolaire, des tapis de prière, etc… Des petites choses qui font plaisir quoi !
L’instructeur à qui ce village est assigné prend le commandement et se présente en expliquant qui est le reste de l’équipe, et le but de notre rencontre. C’est une très cordiale rencontre. Pendant que les autres discutent, j’observe la scène qui s’offre à moi. Il n’y a que des hommes, assez âgés pour la plupart autour de nous, avec nous. Les femmes sont dans les maisons, mâchouillant des petits bâtons de-je-ne-sais-quoi, les bras chargés de bébés. Elles ont toutes la tête couverte. Elles ont toutes un foulard sur la tête, mais pas comme des voiles religieux, plutôt comme des accessoires de mode. La tête couverte, mais joliment, toujours assorti à la robe, elles nous observent en silence.
À quelques mètres de nous, au centre de la place, trône une vieille Renault, peinte au pinceau en trois ou quatre couleurs. Elle semblait ne pas avoir roulé depuis un bail. Un ancien semble donner un ordre avec un geste de la main pour qu’on lui enlève ce tas de ferraille.
Arrive deux, puis trois, puis cinq jeunes entre 10 et 15 ans qui se mettent à pousser la bagnole hors du champs de vue. Les instructeurs et les dirigeants du village discutent toujours pendant que j’observe ces jeunes, que je vois encore à une trentaine de mètres de nous maintenant. Ils décident d’ouvrir le capo et s’y penchent à cinq têtes. J’observe la scène, le soleil, les yeux des gens, l’ombre fraîche des bâtiments en terre, je suis heureux.
Au loin, les jeunes se mettent en position et poussent la bagnole pendant que l’un d’eux prend le volant, ils essaient de la démarrer sur la compression. J’observe une, deux, trois tentative de démarrage quand je reçois un signal d’un instructeur, la rencontre est finie, nous allons marcher dans le village pour explorer la vingtaine de maisons. Je laisse les jeunes mécanos à leurs expériences…
Nous nous dirigeons vers la mosquée. Petit bâtiment cerclé d’une clôture, qui forme une cour dans laquelle se recueillent les habitants, ne pouvant tous entrer dans la mosquée. Son minaret est visible à des km à la ronde, malgré sa modestie. Le catholicisme a utilisé les cloches pour sonner l’appel aux citoyens, l’Islam moderne utilise des hauts-parleurs pour l’appel à la prière. Je suis tôt joins par des enfants. Ils ont tous la morve au nez, les yeux brillants, le sourire complice… De la cour de la mosquée, j’aperçois au loin la voiture poussée par les mecs qui fait des embardées et des explosions. C’est bon, ils n’ont pas lâché et ils rient à fond! Je crois bien qu’ils réussiront à la démarrer cette poubelle!!
J’ai un plaisir incroyable à jouer avec les enfants, à leur donner de l’importance, à les faire rire. L’un d’eux en particulier me colle à la peau. Il ne me lâche plus, on se parle, il rit, 5 ans, des yeux noirs, rieurs, des dents blanche, intelligent et vif, curieux à mort. Pas peureux. J’ai un échange réel avec ce gosse. Avant de partir, il me dit qu’il est le fils du chef du village. Je ne suis pas surpris, de là sa confiance en soi, il peut être curieux, il ne se sent pas menacé dans son royaume. C’est extraordinaire. Je tombe en amour avec ce petit bonhomme haut comme trois pommes!
Nous marchons vers la sortie, je prends beaucoup de photos à tout hasard. Je classerai après.
Embarquement dans nos deux véhicules de transport «Autobot». Alors que nous roulons doucement sur le sable en direction de la sortie, je vois une dernière fois au centre du village un énorme nuage de fumée noire, et les quatre garçons criant les bras dans les airs, avec la voiture-poubelle qui avançait d’elle-même. Incroyable ! Ils venaient de redémarrer le moteur à force de pousser et de triturer! Ces garçons, sans outils, avaient réussis à repartir cet engin en une heure à peine. Ils nous envoient la main en riant, la voiture poubelle faisant des explosions et pétaradant dans une fumée noire et odorante. Et les ti-culs qui nous courent après en criant et riant. Ils sont heureux. Une femme au puis d’eau nous envoie la main. C’est très beau.
Nous roulons cent mètres et tournons à droite pour nous diriger vers le village suivant, le chemin est mou. Le soleil est chaud maintenant. Il se trouve que par le hasard des amitiés, les instructeurs embarqués dans le véhicule devant nous sont tous de très gros et grands gars. Mêmes s’ils n’étaient que quatre dans la boîte du véhicule, ils dépassaient largement les mille livres. Comme de fait, le véhicule chargé de ces hommes forts s’enlise. C’est là que je les ai déclarés membres du «Club Sélect des Sept Cent Livres». Ils sont tous restés dans la boîte pendant que le chauffeur verrouillait ses roues sur 4X4 et manœuvrait pour sortir de là. Bel effort d’équipe (!). C’était drôle de voir les africains travaillants aux champs observer la scène interloqués, entre deux ânes et trois rangées de coquillages, les pieds dans le persil.
C’est encore plus drôle de regarder trois ânes assis en deux rangées, se laissant trimbaler dans un camion, regardant des africains les observer.
Deuxième village
Une fois le trou-de-sable-mou passé, nous roulons sur environ deux km, dans des chemins sinueux qui ne sont en fait que deux roulières entre des lopins de coquillages bien enlignés et des pieds de persils bien dégarnis. Le soleil est chauuud. Il es environ 09h30. Je ressens une immense vague de bonheur et de reconnaissance en moi. Je suis tellement heureux d’être là, de vivre ça. Je suis privilégié. Merci La Vie™, Dieu, Allah, l’Univers, Alhamdoulila! Je me sens totalement connecté à mon moment présent, je SUIS.
Derrière notre véhicule, un garçon de 8 ou 10 ans à peine entreprend de nous pourchasser sur sa charrette tirée par un âne. Comme nous n’avançons pas vite, le gosse se maintient à une courte distance de nous, la bête est enflammée et ne sait trop pourquoi elle court derrière un Autobot (je suis sûr que l’âne a dû écouter le film «Transformers» comme tous les ânes…) tandis que le pilote se marre à fond la caisse! Il rit aux éclats en filant à toute allure sur son engin-à-deux-roues-chambranlantes-tiré-par-quatre-pattes-frêles-et-souflantes. Après un km, la bête n’en peut plus et coupe le pas. Le gosse nous salut de la main en riant, nous lui envoyons la main en riant nous aussi. J’aime le caractère rieur des gens jusqu’à date. Je crois que même l’âne riait.
Nous approchons du deuxième village. Entièrement construit sur, et encerclé de, buttes de sables. Il n’y a que deux bâtiments en «dur». Deux écoles. Tout le reste est construit de paille et bambou. Une trentaine de petites maisons, grandes comme un cabanon d’arrière court, vous savez, les cabanons dans lesquels on sert la tondeuse et les vélos? Pas plus grand que ça.
Un homme en chemise et nu pied nous accueille. Il est le «responsable des écoles» selon ma compréhension. Il est un membre du conseil du village, ils nous attendent. Nous sommes dirigés vers le «centre» du village. Une structure, en rondins de 5 cm attachés par des lianes et quelques bouts de corde, supporte une bâche et couvre une superficie de 3X4m. Un bébé pleure, des enfants tous petits crient autour de nous. Ils sont tous petits! Des femmes emportent des tapis de pailles pour nous créer un espace de réunion à l’ombre de la bâche. Des femmes approchent en tenant leurs bébés dans les bras. Certaines sont très jeunes, moins de quinze ans. Elles se couvrent le visage et rient quand on les salue, elles ont toutes la tête couverte d’un voile léger.
Les anciens arrivent, les notables de la place se présentent. Les responsables des conflits, de la sécurité, de l’école, du conseil, le plus vieux, le plus sage, tous sont présents. Nous sommes tous assis au sol. Les membres de notre délégation ont les bottes aux pieds, les locaux ont tous retirés leur sandales pour s’asseoir sur le tapis. Ils nous ont dits que c’était ok. J’essaie néanmoins d’adopter la même position qu’eux, les pieds sous les fesses, pointant vers l’extérieur, les genoux agréablement tordus sous mon poids, très confortable. Je ne pourrai sans doute endurer cette position plus de quatre minutes à cause de mes rotules. Je comprends pourquoi on vieillit plus vite ici.
Nous sommes assis en cercle, il y a une femme cette fois-ci. En retrait, mais présente dans le cercle. L’instructeur responsable du village prend les commandes, explique l’objet de notre venue et ce qui se passera lors de notre prochaine visite. La rencontre se déroule très bien. Nous savons le nombre d’enfants, le fait qu’ils jouent au football et aussi qu’il y a deux écoles. On encourage l’apprentissage ici. Il y a au moins vingt enfants autour de nous. Très belle atmosphère bon-enfant. Il n’y a pas d’électricité. Pour faire charger leurs téléphones, ils vont au village suivant, qui utilise un système solaire avec des batteries.
Je suis bien incapable de rester assis sur mes genoux plus de cinq-sept minutes, je dois changer de positions. Je deviens tout engourdi. Ayoye. En fait ça déconcentre même, je sais pas comment ils font. Au bout de quelques minutes, la rencontre se termine et nous nous remettons tous péniblement sur pieds, étant tous ankylosés de nos nouvelles postures. Nous marchons vers la sortie, le tour du village pouvant être fait en effectuant un 360 sur soi. Nous entendons les vagues de la mer, située à 100m, derrière les dunes. D’ici nous voyons le minaret du premier village de tout à l’heure. Lors de la saison des pluies, et pour plusieurs semaines, le village est complètement coupé de tout. Il devient une île inaccessible, il n’y a plus de chemins. Inaccessible pour les véhicules, mais toujours accessible à l’appel du minaret de la mosquée du premier village. Sur l’eau qui entoure, le son voyageant plus loin, l’appel se rend plus clairement d’un village à l’autre, maintenant un lien coûte que coûte. Étrange île trop isolée pour être coupée de l’Homme mais pas de Dieu.
Embarquement pour nous diriger vers le troisième village. Fiouu, nous étions bien à l’ombre sous la bâche. Le soleil, maintenant haut dans le ciel est chauuuuud! Il est environ 11h. J’ai oublié mon chapeau mou à large bord, celui qui protège bien du soleil. J’essaie donc d’exposer des faces intermittentes de ma faible carcasse blanche mais rougissante.
Troisième village.
Encore une balade de quelques km entre les champs de coquillages pour arriver à ce troisième hameau. Il n’y a moins de gens dans les champs. Je crois qu’ils ont finis leur boulot d’arrosage du matin. Moi non plus je ne pourrais travailler sous cette chaleur.
Tous les bâtiments sont en dur ici. Il n’y a que quelques huttes, bien loties dans des cours encerclées de clôtures de bambous. Il y a des boababs, et des arbres bas qui offrent une ombre bénéfique. Des petites chèvres mangent les ordures et se parlent entre elles. Nous entrons dans le village. Une mosquée, une école, quelques enfants curieux. Nous suivons un jeune homme vers les anciens.
Nous marchons cent mètres, encore des bâtiments en dur. Il y a plus de bâtiments que je peux en évaluer à l’œil. Un terrain de football, goood. Les jeunes jouent ici, c’est un bon signe. C’est toujours bon signe de voir des enfants s’amuser et vivre.
Une haie d’accueil nous attend en ligne. Cinq hommes d’âge murs, dont un très ancien nous saluent. Le vieux des vieux n’a que quelques dents, brunes, et porte des lunettes sur des yeux aveugles, mangés par les cataractes. Il se porte sur une canne et marmone faiblement «Salam aleikum – Aleikum Salam» à nos salutations respectueuses.
Une vieille femme passe alors et nous salue aussi bien joyeusement. Elle semble saoule, même si je sais que c’est bien impossible. En elle-même elle représente une image délicieuse. Une seule dent en bas, jaune, un sein qui sort de son boubou rouge sexy. Elle rit et se balade au rythme de son sein gauche qui marque le pas devant elle, tel un pendule. Elle passe entre nous en ballotant les bras, sans crainte de l’opinion de quiconque. Elle devait être la doyenne du village. Elle nous faisait rire avec elle.
Nous sommes accueillis par le village en entier sous un arbre bas. Comme au premier village, des chaises apparaissent, toujours le même plastique vert ou blanc, on me force à m’asseoir. Il doit y avoir une trentaine de personnes autour de nous. Beaucoup de femmes et d’enfants. Les plus jeunes rient et courent. On installe le vieux des vieux sur une chaise, un peu en retrait, mais à la tête des vieux. On installe encore des chaises, il y en a une vingtaine maintenant.
Des jeunes, et même très jeunes se mêlent à la rencontre. Ils sont assis sur les jambes des moyens jeunes, mais ne parlent pas. L’instructeur responsable de ce village prend les commandes de la réunion, et discute avec les gens. Le vieux ne parle pas vraiment, mais il hoche du bonnet, laissant ses jeunes vieux discuter pour eux. L’entente est bon enfant, tous semblent très concernés par la rencontre, et se penchent en avant pour mieux entendre.
Nous sommes observés. Je suis assis à l’extrémité du cercle, à l’opposé de la discussion entre les intéressés, je ne peux donc que deviner ce qui s’y dit. J’observe ceux qui nous observent. Assis sur un seul rang à ma droite, au moins vingt enfants de moins de dix ans sont cordés bien enlignés les uns à côté des autres. À travers cela quelques femmes, de vingt à cinquante ans, qui nous observent en souriant. Les ti-culs sont excités à mort, ils trépignent de joie et ne restent en place que sous la houlette d’une femme plus âgée qui tient les rênes.
J’ai de la difficulté à ne pas me laisser distraire de la réunion. Mais évidemment je fais un clin d’œil à un ti-cul et celui-ci devient fou, il se retourne en riant dans le sein de sa mère. Aussitôt que la réunion se termine, je m’empresse auprès du groupe de femmes et enfants, et leur demande pour prendre des photos, ce qu’ils acceptent avec joie et bonheur. Tous cherchent à entrer dans le cadre, bien en ordre. Un moment que je n’oublierai pas. C’est magnifique.
En quittant nous sommes accompagnés par les hommes, nous montrent leur système électrique, aussi à plaque solaire, avec accumulateurs.
La femme-à-un sein réapparaît, je crois qu’elle a le béguin sur le gros du groupe. Elle lui fait de l’œil en Wolof, tout en le tenant par la main, le sein à l’air, innocemment. Une vrai Jeannette Jackson cette mamie! Cinquante ans de moins, quelques dents en plus et la maîtrise du français en auraient faits une reine de carnaval pour notre ami!
Nous remarchons à la sortie du village, pour une dernière visite avant le dîner. Il est plus ou moins midi, il fait chauuuuuuuuud chauuuuuuuuud!! Le soleil est incroyablement puissant, je sue tout mon corps. L’eau salé me coule dans les yeux, sur les lèvres, dans le dos. Ça pique les yeux, ça brûle les lèvres. J’aime. Je me sens vivant. À Boire, il faut boire.
Arrivé au véhicule, des jeunes jouent dans le camion. Nos chauffeurs parlent avec d’autres mecs dans un pick-up-poubelle. Même si j’ai soif, j’attends d’être sorti du village avant de prendre une longue gorgée d’eau. Juste histoire de ne pas leur manquer de respect.
Quatrième village
C’était MON village.
Cette fois-ci, nous ne faisons pas que rouler quelques km, nous sortons de la zone pour nous diriger vers le Lac Rose à nouveau. Nous passons la bourgade de Niague, tournons à droite au milieu de nulle-part. Au bout de cent mètres, caché au fond d’un chemin sinueux se trouve le village qui m’a été assigné. Nous stationnons nos véhicules sous un arbre, c’est tranquille. Pas un bruit. La mosquée nous accueille de dos, comme pour envoyer un message. «Ha yeh Chris, i forgot to tell you, they are really conservative and religious here, they wont talk to me anyway, than i wont go, take the lead directly» me lance la femme instructeur qui nous accompagne et qui faisait toutes les relations. Et Vlan, comme ça, en entrant dans le village elle m’annonce ça. Village conservateur et religieux qui ne parle pas aux femmes. Goooood!! Ça va faire changement des petits village qu’on vient de visiter…
Nous nous avançons doucement lorsqu’un jeune d’une douzaine d’année apparaît. Il est handicapée d’un pied, mais a un très beau visage, très souriant, avec les yeux. Il nous sert la main mais ne parle pas français. Il nous conduit en clopinant vers un bâtiment en dur. Nous ne voyons rien ici, il y a des clôtures partout. En fait il s’agit de murets en bétons, entre 5 et 7 pieds. Tout est isolé. Nous passons à travers une succession de murets qui forment un genre de porte-à-faux. Peu importe l’angle, on ne peut voir ce qui se passe entre les murs de l’extérieur. Étrange.
Nous sommes conduits à l’intérieur de ce bâtiment. Il fait sombre, des tapis sont au sol, on nous y fait asseoir en nous permettant de garder nos bottes. J’ai chaud, je dégoute au sol. Pas de fenêtres, mais des rideaux blancs qui laissent passer l’air… et les mouches. Des mouches des mouches et des mouches. En voulez-vous de la mouche domestique ? Ils la fabrique ici je crois. Il y avait tant de mouches, que c’en était ridicule. Je me demandais comment ils pouvaient faire pour agir comme si rien n’était, à part un coup de fouet à mouche de temps à autre. Moi j’en avait les yeux plissés tellement il y a avait des mouches. Et comme j’avais méga chaud, et que je suais, j’attirais encore plus les mouches, qui venaient avec amour et intensité s’abreuver dans mes cheveux bien huileux.
C’est moi qui avait les commandes en cet instant, mais une seule personne du village était présente pour nous parler, outre le jeune. Il s’agissait de «l’instituteur» de français. Mais il n’y avait pas de salle de français, pas de classe. Le «chef» du village ne pouvait se présenter, ni personne du conseil. Seulement une petite quarantaine d’enfants ici. Qui n’avaient pas le droit de jouer. Ni au football, ni jouer point. Les femmes étaient séparées des hommes, et n’avaient pas le droit de s’adresser à nous. Ni de nous voir d’ailleurs. Ni nous de les voir. Ouf, difficile de faire une évaluation d’un village quand vous ne pouvez ni rencontrer ses gens, ni marcher ses rues. J’étais bien embêter.
Après une quinzaine de minutes emmouchetées, à nous faire demander une liste d’épicerie sur tout ce dont ils avaient besoin, nous sommes sortis au grand air nous enquérir des lieux. L’air brûlant et la lumière vive me sautent au visage en ressortant. Une cour intérieure de 100X100m, des clôtures, une mosquée, un dortoir, un bâtiment en dur, deux locaux en brique sans toit, une casaque de paille comme école coranique. Deux rangées de trois planches de bois, posés sur des briques au sol font office de banc. Il n’y a pas de sol, c’est la terre. Les murs et le toit sont composés de bambous, posés sur une frêle charpente de branchettes. 2 mètres par 3 mètres, 1.7m de haut. Je ne peux m’y tenir debout moi-même. Une planche de contreplaquée de 1X1 tient lieu de tableau noir. La lumière filtre par les interstices entre les bambous mal ficelés. Une douzaine d’enfant doivent pouvoir tenir place dans ce cagibi. Pour l’instant il n’y en pas. J’essaie de pousser le regard au loin pour trouver les habitants. Il n’y a que des murs qui forment maintenant une grande cour intérieure. À cent mètres de moi, je vois 3 ou 4 personnes qui se cachent, seulement des foulards, ce doit être des filles.
C’était tout. Tout le village était en fait consacré à l’étude du coran, il n’y avait aucuns bâtiments, et les rares habitants étaient très pauvres, du fait qu’ils ne travaillaient pas. Ils étudient le coran. Comme ils ne travaillaient pas aux champs, ils ne produisaient pas de nourriture, ne eau, ni rien. Et ils n’avaient pas d’argent pour payer l’eau, donc on a coupé l’eau. Vraiment pauvre. Mais pieux. Le prof nous demandait si nous ne pouvions pas payer la facture d’eau. Nous n’étions pas là pour ça. Il n’y a aucune joie dans ce village, nous n’avons même pas vu d’enfants. Aucuns.
Nous nous sommes fait reconduire à la porte, et saluer bien courtoisement par l’étudiant et le prof. Étrange scène. La température est insupportable, il est plus de 13h quand nous quittons ce sinistre endroit. Je me sens étrange.
Il s’agissait de la première visite. Deux journées étaient prévues pour les visites d’étudiants, je trouverais bien le moyen de comprendre ce qui se passait ici.
Ensuite nous allons manger, et go, retour en ville.
Chris
Album photos : https://www.facebook.com/christophe.cote.355/media_set?set=a.10152154341220353&type=3



