Série CARNET DE VOYAGE D’UN CANADIEN AU SÉNÉGAL (CVCS) publié en février 2020 dans le cadre de l’anniversaire de ce voyage initiatique réalisé en février 2013 dans le cadre d’une mission militaire de formation au Sénégal. Ici, le cinquième article d’une série de douze.


DU 2 FEV AU 2 MARS 2013
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SEN1-05 – L’ÎLE DES ESCLAVES
Sortie culturelle
Visite de l’île de Gorée, un aperçu de l’enfer
15 fev 2013
Jour 13
Samedi, 0900.
Aujourd’hui nous participons à une visite dite culturelle, organisée par nos hôtes pour tous les membres du groupe, stagiaires comme instructeurs, sur une île reconnue pour son histoire triste.
Il s’agit d’une journée plus décontractée pour tout le monde, et d’une bonne opportunité pour être accompagné par mon guide de tous les jours, Ali Sow (pronnoncez so-ho), vous savez, ce jeune homme qui m’avait vendu ma première statue en bois le premier jour… Et bien nous l’avons engagé, et maintenant, nous ne sortons plus sans lui. Il nous aide dans nos achats pour des imprimantes (oui oui, comme imprimante laser et à jet d’encre) des articles scolaires, ballons de soccer pour les villages, etc. Grâce à Ali, qui nous a enseigné les rudiments de la vie et des achats à la mode sénégalaise, nous avons sauvé des heures et des heures en recherches inutiles, ainsi que des centaines de dollars en négociation et détermination des prix. Car il faut savoir une chose, ici il y a trois prix : le plus haut pour les touristes, et le plus bas pour la famille…
Depuis quinze jours que ce petit nous rend service à tous les jours ou presque. Nous ne lui versons aucun salaire, il ne reçoit que de petites commissions sur les achats que nous faisons auprès de ses contacts à qui il nous réfère. Aujourd’hui, je l’ai invité pour la sortie culturelle, et il ne nous accompagne pas comme guide, mais comme ami et visiteur. Je lui avais donné rendez-vous ici à 08h45, nous étions censé partir vers le port à 09h, il est maintenant 09h05, et toujours pas de Ali. Merde ! Je lui ai déjà laissé plusieurs texto, pas de réponse… dans quelques minutes, nous devrons partir avec ou sans lui. En fait, une minute passe, et le patron donne l’ordre au groupe de se mettre en marche. Je laisse tout le monde partir et traîne un peu à l’arrière en espérant le voir apparaître, mais en vain. Je me mets donc en route avec les derniers trainards et nous marchons jusque dans le port de Dakar pour prendre la navette qui nous conduira à l’île de Gorée. Une distance d’à peine un km à marcher pour s’y rendre. Par chance, j’ai à peine cinquante mètres de faits que je le vois apparaître dans la foule près de l’hôtel.
« ALI!!! Let’s Go !! » que je lui cri… il me voit, et vient me joindre en riant ! Il est 9h10. Fiouu, il s’en est fallu de peu pour que mon guide ratte sa chance de participer avec nous à cette sortie culturelle essentielle pour tous visiteurs au Sénégal. « Ha mon ami ! me dit-il – J’ai eu bien peur de ne pas y arriver ! Le taxi dans lequel j’étais a manqué d’essence ! et j’ai dû appeler un ami pour qu’il vienne me chercher en moto sur l’autoroute afin de vous joindre à temps ! Et après je n’avais plus de crédits dans mon téléphone… » Et bien voilà, tout s’explique !!
Haaaaa l’Afrique ! Rien n’est jamais simple ici.
Dans la file d’attente se trouvent des femmes qui nous abordent sans complexe. «Allo moi c’est Cindy Lauper, j’ai un petit magasin sur l’île, tu viendras me voir ?» «Bonjour, moi c’est Madona, comme la chanteuse, toi c’est quoi ton nom ?» Wow!
Les vendeuses de la place se donnaient des noms occidentaux pour être facilement repérable par les touristes. C’était brillant et amusant. Alors comme des idiots, certains d’entre nous donnent leur vrai noms, d’autre pas, mais moi et un autre instructeur canadien donnons tous deux le nom d’un troisième instructeur qui est très euuhh disons… très très attiré par les femmes. Disons qu’il est comme un matou en chaleur, il lève tout ce qu’il peut ! Alors on s’est dit qu’il aimerait avoir un nom populaire ! Nous l’appellerons Michel…
Vogue vogue petite pirogue…
Nous embarquons tous à bord d’un bateau de transport de passagers. Il doit bien y avoir 500 personnes au moins. Nous levons l’ancre et nous dirigeons doucement vers la sortie du port. Dakar est sans conteste une porte d’entrée importante de l’Afrique. Le port ici fait plus de trente km de long, des milliers de navires plus gros que tout mon quartier y transigent en même temps. Sans parler de ceux qui attendent au large pour pouvoir mouiller à quai, faute de place.
Nous sommes minuscules à côté de ces transporteurs de conteneurs océaniques qui font de l’ombre sur des kilomètres tellement ils sont hauts. Nous transigeons entre les géants flottants sur une courte distance pour nous retrouver dans la sortie du port lui-même. Un de nos chauffeur sénégalais qui nous accompagnait est devenu un ami que jamais beaucoup, Mamadou, et il m’a montré Dakar simplement, avec son bras. C’est très simple, Si vous pliez votre bras droit vers vous en refermant le poignet, sans refermer la boucle. Imaginez que vous tenez un bébé. Cela fait une sorte de «clé» en demi-cercle. C’est cela Dakar, votre pouce au bout d’une clé de bras sur la mer. Dakar est la pointe extrême ouest de l’Afrique, et il y a la pointe de la pointe, sur la pointe des amandines. Il s’agit de la langue de terre la plus éloignée dans l’océan. De là, en portant bien attention sur l’heure du midi, vous voyez l’Amérique en plissant des yeux. Ce n’est qu’à 6000km après tout…
Nous croisons au large des pêcheurs solitaires. Ils sont seuls dans leur barque, en bois, sans moteur, à quelques km de la rive. Ces hommes sont d’une force incroyable pour se rendre aussi loin sur de pareilles vagues. Des vagues océaniques on s’entend… Ils sont de bons navigateurs.
Cela ne prend que quelques minutes pour que les chauffeurs Mamadou-le-colleux et Ndiaye-le-curieux se joignent à Ali et moi sur le bateau. Ils sont tous les deux très attentionnés, protecteurs. J’aime vraiment ça. C’est intéressant comment les gars assument les amitiés ici. Ils sont plus proches physiquement, se tiennent de partout, ils n’ont simplement pas de barrière mû par des préjugés «religo-sexués». Ils expriment simplement leur attachement et leur amitié sans gêne, en se tenant par la main, les épaules, en se touchant pendant qu’ils parlent. Il est très fréquent de voir des gars se tenir par la main pendant qu’ils marchent. C’est très simple en fait, très naturel. Cela ajoute à la communication non verbale. Tu as moins besoin de mots, tu communique plus. Un bon message s’exprime en un minimum de mots, pour un maximum de sens. N’est-ce pas ? C’est ainsi, dans un minimum de mots que s’expriment les amis sénégalais. Mais en étant toute là. Ils expriment une très forte présence.
Pour nous rendre à l’île, ce n’est qu’un saut de puce de 3km ou 4 km, à peine vingt minutes sur le ferry et nous accostons à l’île. De l’île on voit Dakar, de Dakar on voit l’île. On m’a dit que parfois, des mecs traversaient à la nage d’un bord à l’autre, juste pour le fun. Il y a cette ethnie, les Lebous, qui naissent dans l’eau. Ce sont des nageurs incroyables, impossible à noyer. Dès l’abordage, des jeunes de la place sautent à l’eau et nous crient «monnaie dans l’eau – monnaie dans l’eau». Ils nagent autour du bateau et vont chercher les sous que leur jettent les touristes. Imaginez, dans 10 ou 15 pieds d’eau, ils se rendent jusqu’au fond pour aller retrouver les pièces de monnaie que les gens tirent. L’eau est salée, ils n’ont pas de masque, ça doit piquer les yeux… ils doivent êtres Lebous !
Alors que les passagers se dirigent tranquillement vers la rampe de sortie, Cindy Lauper, Cher et Madonna nous cherchent du regard et nous saluent « Micheeeeel? Miiiiiichel?? À plus tard les Michel !! » avec des tatas… Ha oui ! on les avais presque déjà oubliées celles-là!
Grand débarquement
Dès l’arrivée, une délégation spéciale accueille notre patron, et le maire de l’île nous souhaite la bienvenue. Mes trois complices (Ali le guide, Mamadou le chauffeur colleux et Ndiaye le chauffeur curieux) et moi suivons le groupe dirigé par un guide professionnel afin de nous laisser introduire à la brève histoire de la place.
Les rues sont étroites. Il n’y a aucun véhicule à moteur, que des pousse-pousses en fer comme en ville. Comment vous décrire ces pousse-pousse… ? Prenez de la tige d’armature à béton, faites un rectangle de +- 1.5m X 2m, installez-y une paire de pognée (comme celles d’un diable de déménagement) à l’une des extrémité et patentez-y des roues d’auto en dessous. Idéalement avec des pneus. Qui ont de l’air dedans… Non mais ça a l’air stupide sauf que je vous l’ai dis, en Afrique… rien n ’est simple ! Donc sur cette structure (super pesante) malléable et portative, vous pouvez fixer et transporter à peu près n’importe quoi ! TOUT se déplace sur ces chariots. De l’eau en bouteille, des matelas, du fer, de la brique, du sable, des déchargements de camions de bouffe, je vous le dis, TOUT se transporte sur ce format de pousse-pousse. Ils sont PARTOUT! Et même sur l’île ! En fait surtout sur l’île, puisqu’il n’y a pas de voitures…
Parlons-en de cette île. Elle a été conquise tour à tour par les français, les portugais, les espagnols, les anglais, mais jamais par les africains. Les colonisateurs se sont partagé l’endroit pour le même usage durant quatre cent ans. J’ai peine à y croire, mais toute une économie et une industrie, et un développement régional a été développé sur la traite d’humains.
L’Île de Gorée est la représentation géologique de tout ce que l’homme a pu offrir de plus atroce à l’humanité. Il s’agit d’une île d’à peine 7 Km carrée, qui était entièrement consacrée à la traite des esclaves. Durant plus de 400 ans, quinze millions d’Africains ont transités pas cette île vers le commerce de l’esclavage. Six millions en sont morts. On jetait les cadavres à la mer, et tout le tour de l’île était peuplé de requins. Des colonies de requins alimentées d’hommes… par l’homme! Ils représentaient en plus une barrière pour quiconque voudrait s’évader à la nage. Joyeux. Aujourd’hui il n’y en a plus. Tout respire la souffrance et l’immoralité ici.
Nous débutons par la visite du cœur de cette entreprise barbare d’un autre temps.
Maison des esclaves
De l’extérieur, cela ressemble à toutes les maisons, sauf pour ce haut de porte qui proclame Maison des esclaves.
Sinistre, même en cette belle journée.
Nous entrons par une porte basse, qui ouvre sur une cour intérieure. C’est ici que transigeaient les esclaves pour leur dernier arrêt avant le grand départ. Voici en gros comment cela se passait.
La matière première (les hommes forts et femmes fortes) était générée par les combats tribaux se déroulants à l’intérieur des terres entre rois et empereurs traditionnels. Les vaincus étaient faits prisonniers lorsque pas totalement brisés pas la guerre. Ont les échangeaient comme esclaves aux européens contre des pacotilles et des titres de noblesse bidons. Les européens ont beaucoup abusés des rois nègres. Et parmi ces derniers, beaucoup ont faits montre de beaucoup de mépris à l’égard de leurs propres semblables. Ils ont laissé des millions et des millions d’africains êtres déportés dans des souffrances épouvantables.
Arrivés à destination, parfois après avoir traversé des milliers de km, séparés de leur famille, on ne voulait même pas qu’ils sachent de quels pays ils venaient. Ont leur attribuait alors un numéro. Tout simplement. On voulait qu’ils perdent leur origine ethnique, leur provenance et leurs racines, leur nom, leur mémoire, tout.
Ils étaient enchaînés à genoux 23/24h pendant trois mois, dans des caveaux de pierre froids et humides. Séparés par groupes d’âges, de sexe, de santé. Les hommes ne devaient pas peser moins de 63 kg et mesurer moins de 1m72. Les femmes étaient jugées à la grosseur de leurs seins. Souvent elles se faisaient violer. Parfois elles tombaient en ceinte. Cela les sauvait. Elles étaient retirées du marché, et se voyaient accéder aux mêmes droits que les citoyens français, ou coloniaux du moment.
Les cellules que nous visitons sont minuscules. Je ressens une énergie dramatique. Je peux entendre les cris des gens arrivants ici. Il y a des traces d’ongles sur les murs de bois et au plafond. Le bâtiment a deux étages. Les cages de pierre sont au sol, et les gardiens habitaient en haut, juste au-dessus. Le plancher des gardiens est le plafond des esclaves. Et ces derniers devaient hurler, gémir, gratter pour sortir. Et des gens vivaient juste en haut de ça… Cinquante femmes pouvaient être entassées dans un espace grand pour vingt.
Quinze hommes dans un espace pour cinq. Les récalcitrants étaient enfermés dans des cellules d’à peine quatre pieds de haut. On ne pouvait s’y étirer sous aucun angle.
Après trois moi de sévices, ont considéraient ceux qui avaient survécus comme assez forts, et on les forçait à embarquer sur un bateau, qui les conduirait dans le plus difficile voyage de leur vie.
Ce qu’ils avaient vécu n’était encore rien.
Entassés comme des sardines, vraiment, dans des caves puantes et sales, on les nourrissait à peine pour les garder en vie jusque l’autre bord. Les enfants mourraient. On forçait les hommes à la rame. Beaucoup se suicidaient en se jetant par-dessus bord. C’est une histoire terrible que d’entendre et de lire les panneaux qui relatent tant d’horreurs humaines.
Je traverse la porte du non-retour, la dernière que traversaient tous les esclaves quittant l’Afrique. Il s’agit d’une petite porte, grande comme un garde-robe, qui donne de la maison sur l’arrière, soit la mer. Une grande passerelle conduisait les esclaves vers les bateaux accrochés aux quais. Cette porte ne se traversait que dans un sens. Vers la mort. Ils sont des millions à y être passés. Des âmes y sont accrochées. Cela se sent. En silence nous observons les lieux. Il n’y a rien à dire. Un garçonnet vient me toucher l’épaule. Il a 5 ans tout au plus, il me demande de l’argent, je ne sais même pas comment il est arrivé là. Comprend t-il les lieux ? Il vit ici, pour lui tout cela est SA vie… Je lui donne une pièce. Je regarde au loin, appuyé sur la rambarde, Mamadou est à côté de moi, appuyé contre mon épaule. Il est vraiment affectueux ce mec. Je suis bien comme ça. Moment suspendu.
Ndiaye vient nous aviser que tout le groupe est parti, il ne reste que nous. Alors nous sortons. Je me sens lourd, sale. En me retrouvant dans la rue, j’ai besoin d’étendre les bras au ciel et de demander pardon pour les fautes de l’humanité. Mamadou me passe un bras sur les épaules. J’ai les yeux mouillés, je suis bouleversé, honteux au nom des hommes de ce qui a été fait. En a-t-on tiré les leçons ?
L’humanité a fait de grosses erreurs, mais comme les hommes de qui elle est composée, elle grandit et progresse en conséquence. Je me serre un peu sur Mamadou, on est ensemble, pas besoin de rien à dire. Je me ressaisi après quelques mètres, prêt à passer au reste du programme, qui devrait être plus léger.
La montagne
Le soleil est haut, toujours plus haut, il doit être l’heure du midi maintenant. Mais je n’ai pas faim. Comment manger après ce que l’on vient de voir ? Avec mes guides Ali, Ndiaye et Mamadou, nous décidons de simplement marcher dans les rues, au hasard de nos pas. De toute façon, impossible de nous perdre ici. On approche de la montage de l’île et Cindy Lauper, que j’avais rencontrée dans la ligne d’attente du bateau a tôt fait de me retrouver elle…
«Michel, vient me voir» me lance-t-elle dans un mouvement de bras dès qu’elle m’aperçoit, à 100 mètres. Moi je ne l’avais même pas reconnu. Malheureusement pour Cindy, elle vend des petits colliers et bracelets, identiques à tous les bracelets de la centaine de vendeuses réparties sur quelque cent mètres. Elles veulent toutes notre attention, elles veulent toutes que l’on regarde. «On propose mais on n’impose pas». Quand on a vu une dizaine de bracelet, on les a tous vus. Ils en ont des milliers et des milliers. Et tous les jours ils fabriquent des colliers avec des milliards de petites pierres ou cossins que l’on enfile dans un fil à pêche.
Mamadou et Ali me regardent en me demandant « pourquoi elle t’appelle Michel ? » « Laissez-faire… »
Je vais donc voir Cindy Lauper une petite minute pour constater qu’elle n’avait rien de différent des autres… « Tu as du très beau matériel Cindy, mais je vais d’abord continuer ma visite et je verrai plus tard » « Oui mais tu m’achète à moi hein Michel? Je n’ai encore rien vendu aujourd’hui et je dois nourrir ma famille… » Bon ! C’était reparti ! « Ok à plus tard » et nous essayons de nous éclipser tout en nous faisant harasser par tous les autres vendeux de cossins installés à tous les deux mètres jusqu’en haut de la montagne… Au moins j’avais mes mecs autour de moi qui me protégeaient. J’aimais vraiment mon moment en fait. Le soleil était haut, et chaud, très très chaud sur l’île des esclaves.
La forteresse
Nous poursuivons notre chemin en gravissant la colline qui déforme l’île. Tout en haut, après un petit Km de montée, nous découvrons une place fortement armée par les français. De gigantesques canons, les plus gros que je n’ai jamais vu, font face à la mer et protègent Dakar contre tout invasion des méchants Nazi de la 1e et de la 2eGuerre. Ces canons étaient alimentés par de gigantesques structures souterraines à travers lesquelles se faisaient le ravitaillement et la maintenance du canon. Quand je vous dis gros canon, je parle d’un obus de 12 pouces (30 cm) de diamètre, avec un canon de trente pieds de long (+-10 m)…
Nous sommes descendus dans les entrailles des canons avec un habitant local qui nous a exposé l’histoire et tout ce qu’était la place. Le gars, il y vit. Littéralement, il y a des gens qui vivent dans le ventre du canon. Il s’agit de toute la structure qui accueillait les obusiers, les manœuvriers, les canonniers, les réseaux d’approvisionnement logistique, les mécanismes de chargement, les ascenseurs (brisés aujourd’hui)… c’est tout simplement incroyable. Nous marchons sur plus d’une cinquantaine de mètres sous la terre au travers d’un complexe dédale de tunnels, tous décorés par des graffitis aux couleurs de l’Islam ou par des images de prophètes et slogans religieux. Les gens qui habitent ici sont des « baye-fall », un courant trèes cool de l’islam, qui ne fait pas vraiment les 5 prières, ni le jeune, qui se laisse pousser des rastas et qui fume du pot… à plein régime ! Mais ils sont très pieux! Ne vous y trompez pas. Ils sont les gens les plus peace & love au monde, et très ouvert aux discussions spirituelles. J’ai pris le temps de regarder les sculptures de mon guide du moment, Abdu, et j’ai choisi un ensemble de trois tortues « Combien veux-tu pour cela Abdu ? » « En fait combien cela vaut pour toi Christophe ? Pour moi l’argent n’est pas important, je serai heureux simplement que tu m’ais acheté un souvenir de moi, qui garde notre amitié… » Putain ce qu’ils avaient le tour ces gars-là! Je lui ai donc offert ce que je jugeais raisonnable, l’ai remercié et ai poursuivi mon chemin avec mes mecs.
En sortant de sous la terre, le soleil me frappe à nouveau. Mes yeux se ferment, je suis ébloui. Non mais qu’est-ce qu’il est chaud !
J’avais beaucoup de plaisir à marcher avec mes trois mecs. En plus, surprise ! Mamadou connaissait bien l’histoire de la place et me la partageait. J’ai découvert son attachement pour moi ce jour-là, et c’est à partir de ce voyage que nous avons été plus proches. Il m’aimait beaucoup, et me le faisait comprendre. Il se tenait constamment contre moi, et plus d’une fois j’aurais juré qu’il faisait exprès et s’appuyait sur moi. Il me collait littéralement aux talons en prenant le temps de m’expliquer tout ce qu’il savait de l’île. Et c’était encore plus beau, car Mamadou ne parlait presque pas français. Il faisait tout cela avec beaucoup d’efforts, et voulait vraiment communiquer et me partager l’histoire de l’île. Je dirais que c’en est un autre qui, s’il était dans notre monde à Montréal, disons qu’il vivrait différemment… Il me disait qu’il n’aimait pas vraiment les femmes. Il aimait juste les putes parce qu’il pouvait les « baiser » par derrière. Pas besoin de les « respecter » en se limitant à faire des bébés par en avant. Il se foutait des filles, il aimait le sexe. Je commençais vraiment à l’aimer celui-là…
Nous marchons quelques heures, mais finissons par en avoir assez de ce soleil, de ces vendeuses de cossins, de toutes ces maisons bâties en même temps il y a 400 ans. Les rouges par les portugais en 1600, les jaune par les français en 1650 et les chsais-pas-quoi par les anglais en 1700. Toutes pareilles, sans électricité (!!) mais peintes de différentes couleurs. Je fini par acheter un collier ou deux à Samantha Fox et décide de redescendre vers le port.
Nous retournons au port d’embarquement, bien décidé à manger un peu, et pour moi, de me protéger du soleil. En descendant la colline, j’aperçois Madonna et Cher au loin « merde! Encore elles ». Nous décidons alors de tenter le tout pour le tout en nous éclipsant sur un sentier non balisé qui l’espère-t-on, nous conduira au cœur du village en évitant les vendeuses de cossins. À peine à la moitié de la pente, entre deux chèvre en pleine discussion qui bouffaient du-papier-ou-je-ne-sais-quel-résidu-de-poubelle-ou-sac-de-plastic (une chèvre ça mange absolument n’importe quoi) j’entends « Miiiiiicheeeeeeeel » Voyons tu me niaise !!? Pas sérieux là? Merde !! Et je vois les deux femmes que j’essayais d’éviter qui se dirigent exactement là où nous pensions arriver en catimini, en balançant leur collier-bracelets-cossins-et-petits-grements-faits-à-la-main « Miiiiicheeeeel viens voir, on propose mais on n’impose pas !! » Ouais c’est ça ! Me semble oui!! Malheureusement pour elles j’ai pas mal moins de patience. « Désolé les filles mais j’ai acheté déjà ce que je voulais à Samantha Fox ». Dommage… Elles s’en sont retournées penaudes.
Leçon venue d’un géant de deux pieds de haut
Alors que nous nous dirigeons vers la plage, mon guide Ali s’écrie « Alhamdoulila! (merci seigneur) c’est mon frère!» en pointant ce petit mec. Haut de deux pieds, les membres inférieurs complètements déformés, les mains en canard, ce gars se déplaçait en bougeant son corps à l’aide de ses bras en se soulevant à chaque mouvement. Ses jambes complètement déformées et recroquevillées sous lui pour se souder en une seule jambe donnaient l’impression qu’il n’était qu’un demi-corps. En fait il n’était qu’un demi-corps. Juste le haut, avec pas de jambes, les épaules rentrées par en dedans. Un pied et demie, deux pieds de haut, pas plus.
Il s’appelle Abdu Sow, et il peint de magnifiques scènes africaines qu’il vend pour faire un peu de sous. Je suis flabergasté du talent de ce mec, de son courage, du simple fait d’être ici, en sa condition. Le gars n’a pas de jambes, pas de chaise roulante, pas de béquille, et il part de Dakar centre-ville pour se rendre jusqu’ici afin de vendre ses œuvres. En plus il a de l’esprit. Je m’accroupi à son niveau et nous parlons au moins quinze minutes de la vie.
Ce mec, que tout devrait porter au malheur et au suicide, me donne à moi, le gars en forme, des leçons de vie. Il me dit combien il est important d’être reconnaissant à Dieu et d’apprécier la vie. Malgré toutes ses souffrances, il était heureux de vivre, de pouvoir vendre son travail et de gagner fièrement sa vie. Wow!
Incroyable. Claque dans face vous dites ?? Je ne pouvais que faire preuve de grande humilité après cette rencontre. Je lui ai acheté deux toiles. «Combien?» « Fais ton prix mon ami, décide de ce que cela vaut pour toi…» Wow ! Encore ?! Au Canada ces toiles se vendraient 40 $ au moins. Il me les a laissées pour dix. Et je ne sens pourtant pas l’avoir abusé, pas du tout. L’important était le geste, un don contre un cadeau. Et pour lui, la fierté.
Il fut ma dernière belle surprise de la journée. Le bateau est arrivé, tous étaient fatigués de ce périple, nous allions rentrer nous reposer.
Retour
Mamadou, Ali, Ndiaye et moi ne nous sommes plus lâchés de la journée, de même que sur le bateau. Nous étions assis tous les quatre comme des moineaux, et mon ami canadien du matin nous avait joint pour regarder les grands vents quand l’instructeur nommé Michel apparaît « Heille c’est drôle aujourd’hui sur l’île, on aurait dit que toutes les filles connaissaient mon nom, je l’entendais partout ! Mais un moment donné j’étais tanné, je pensais tout le temps que les filles voulaient me parler – hihihihi » Rire généralisé et hystérique devant l’air interloqué du pauvre Michel en question… Cela concluait merveilleusement bien cette journée fort mémorable, et riche en découvertes.
Sauf que pour moi, je l’ignorais encore, mais ma journée était loin d’être terminée. J’allais recevoir une visite plus qu’improbable…
Bordel ce que je suis claqué… Je vais aller m’étendre pour une sieste moi.
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SEN1-05 : L’ÎLE DE GORÉE, L’ÎLE AUX ESCLAVES
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