Voyages & Découvertes – CVCS – SEN1-10 : UN SOUPER EN FAMILLE À PIKINE

Série CARNET DE VOYAGE D’UN CANADIEN AU SÉNÉGAL (CVCS) publié en articles dans le cadre de l’anniversaire de ce voyage initiatique réalisé en février 2013 dans le cadre d’une mission militaire de formation au Sénégal. Ici, le dixième article d’une série de douze.

DU 2 FEV AU 2 MARS 2013

SEN1-10 : UN SOUPER EN FAMILLE À PIKINE

MÉMOIRES DE CDC

Article suivant SEN1-11 SOIRÉE SPECTACLE https://lesparolesdechris.wordpress.com/2023/02/24/voyages-decouvertes-cvcs-sen1-11-soiree-spectacle-de-depart/

Article précédent SEN1-09 SMALL ACT SPEAK LOUD : https://lesparolesdechris.wordpress.com/2023/02/24/voyages-decouvertes-cvcs-sen1-09-small-act-speak-loud/

Album photo de déplacements variés https://www.facebook.com/christophe.cote.355/media_set?set=a.10152179943345353&type=3

SEN1-10 – UN SOUPER EN FAMILLE À PIKINE

Épique déplacement vers la maison de mon guide Ali…

Et fantastique moment passé en famille

26 fév 2013

Jour 24

Nous sommes mardi, dernière semaine d’instruction. Je n’ai déjà pas hâte de partir… j’anticipe tristement d’avoir à quitter mes nouveaux amis. Et en plus, j’étais un peu (pas mal) déçu d’une situation bien particulière : vous vous souvenez, dès le premier jour j’avais rencontré un jeune garçon du nom de Ali Sow (prononcez so-ho), que nous avons eu tôt fait d’engager comme guide pour nos visites et nos achats divers. Et quoi que je ne fus pas « l’acheteur » (un membre de notre équipe était désigné spécialement pour cela – pour toutes les questions finance et argent) officiel, quand il nous fallait quelque chose, cela passait souvent par moi, afin que je convoque Ali, et lui passe notre commande pour que lui-même se vire de bord et nous trouve ce dont nous avions besoin. Je passais donc beaucoup de temps avec Ali, et avais un attachement particulier pour lui. Je ne le voyais pas comme un simple « outil » (comme certains autres membres du groupe) mais vraiment comme un ami.

Malgré cela, plusieurs patrons de notre groupe avaient eu la chance d’aller visiter la maison familiale ainsi que de prendre le thé chez Ali, avec ses parents. Pas moi. Sachant très bien que je désirais y aller absolument, en plus ils me narguaient « Ho wow Chris, si tu avais vu ça ! Nous avons été reçus comme des rois, on a mangé en famille et ils nous ont préparé le thé ! Ha my god ! Tellement bon ce thé ! Peut-être le meilleur thé de ma vie ! On a rencontré ses parents, ses sœurs, sa famille… i twas amazing !! »

Va chier.

Tu m’emmerde putain! ET TU LE SAIS ! Moi je ne trouvais pas ça drôle, j’avais même un petit mottons de jalousie dans la gorge.

Ali m’avait invité à chaque semaine depuis notre première rencontre, mais mon patron immédiat ne me laissait jamais aller, pour des raisons obscures et parfois inconnues. Cela commençait vraiment à m’irriter, surtout que je voyais le jour du départ arriver à grand pas. Nous étions le 26, et nous partions le 1e mars… Les fenêtres d’opportunités s’amenuisaient, février n’a que 28 jours après tout.

Donc encore une fois ce matin, je vais voir mon patron pour lui présenter ma demande avec un air de chien piteux « You know boss, if im not going today, i’l miss completely the opportunity to encounter Ali’s familly, and you know its important to me… » « well, if nobody need the « autobot » truck later, you can have one to go tonight, as long as you are going with an other instructor… » YESSSSS! Osti je l’ai eu ! Mais ce n’est pas encore fait par exemple…

Je passe donc ma journée avec une petite fébrilité en moi, espérant qu’il n’y aura aucun fuck-up. On wouerra…

Finalement…

La journée se passe sans rien de remarquable, la soirée arrive, vivement que je puisse m’évader. J’ai demandé à quelques instructeurs aujourd’hui s’il y en aurait d’intéresser à m’accompagner chez Ali pour le souper. Et BINGO! C’est le meilleur d’entre eux qui accepte, Dominic! Nous serons donc deux franco, ce sera cool.

Le mec qui m’accompagne est haut fonctionnaire dans un département lointain et obscure du gouvernement canadien. C’est avec lui, lors de notre visite à l’île de Gorée, que nous avions joué un tour au gars nommé Michel, en donnant son nom partout… Il travaille pour La Défense Nationale, pas pour l’Armée, contrairement à moi. Il est beaucoup, beaucoup plus haut dans la hiérarchie, mais travaille comme civil à titre de spécialiste des politiques X-Y-Z et des échanges internationaux comme ce que nous faisons ici à Dakar. En fait, il est là comme représentant de son organisation et en gros, son boulot est de valider si nous remplissons bien les exigences du gouvernement du Canada en termes d’échanges multinationaux. Comme le fait d’envoyer 16 instructeurs anglophones sur un total de 18 dans un pays francophone par exemple… Disons que c’était mal parti, mais cela, ce n’était pas à notre niveau à nous. Ça se décidait beaucoup plus haut et c’était son point de critique No 1 sur son rapport…

J’avais par le plus grand des bonheurs une excellente relation avec ce mec, Dominic, un Franco de Gatineau au sens de l’humour très développé, grand amateur de bières à l’esprit fin et cultivé de surcroît ! Donc ce serait parfait ! Nous irions ensemble ce soir manger chez Ali, enfin !

En fait, nous sommes très excités. C’est Mamadou-le-colleux qui va nous conduire ce soir. Au moins il comprend le français. Cela semble idiot, mais c’est important quand tu es dans un autre pays de pouvoir au moins te faire comprendre un-ti-peu par ton chauffeur… Malheureusement, Ndiaye-le-curieux ne comprend pas suffisamment pour partir seul avec nous. Il a toujours besoin d’un autre chauffeur pour lui dire quoi faire, ou bien d’un traducteur Wolof pour expliquer ce qui se passe. Il est rieur, observateur et intelligent, mais n’a juste pas eu la chance d’apprendre le français.

Aussitôt la dernière réunion d’équipe terminée, vers 18h30, nous prenons place à bord des véhicules Autobot et nous déplaçons vers PIKINE, le quartier de Ali, situé à une quinzaine de km du centre-ville de Dakar.

Déplacement + Autoroute

Nous sommes encore dans la périphérie de la ville lorsque les voitures ralentissent et tout d’un coup, s’arrêtent. Nous sommes dans un bouchon monstre de circulation. Devant nous, derrière nous, des milliers de véhicules occupent la place, aussi loin que je peux voir. Et plus encore. Dominic et moi sommes tous deux assis dans la boîte du pick-up. « Mouais… ça r-gard pas ben! » que je lui dis. « Ayoye man… » qu’il me répond.

Nous sommes sur la voie de droite, mais je ne saurais dire si c’était la voie rapide, ou la voie pas rapide, puisque tous les véhicules avançaient à pas de tortue, avec de longs arrêts. Par chance que le soleil est en descente sur l’horizon, sinon je voudrais mourir pogné icitte, sans protection. Des nappes de fuel nous enveloppent, la fumée noire surgit des pots d’échappement de tous les véhicules qui nous entourent. À savoir que 95% des véhicules au Sénégal sont au diesel (qu’ils appellent gasoil – prononcez ga-zoual). Je crois que s’ils pouvaient faire des motos diesel, ils le feraient. Notre véhicule est arrêté depuis si longtemps, que le chauffeur coupe le moteur, comme tout le monde autour de nous. Les autobus ultra bondés laissent sortir les passagers, qui se mettent à marcher entre les voitures. De plus en plus de gens marchent, partout, à gauche, à droite. Oups, on avance de 20 mètres.

Merde ! J’ai pas toute ma soirée moi ! Il est déjà plus de 19h et nous devons être revenus pour 22h… Bah! S’il le faut, j’appellerai mon patron pour lui demander une extension!

Dominic et moi rions de la situation, et tentons de ne pas nous en faire. Les bouchons, ça arrive ! Les véhicules les plus bigarrés nous doublent à vitesse de ver de terre, c’est comme une course au ralenti. Je vois des JNC au lieu de GMC, des Nizan au lieu de Nissan, des marques chinoises que je ne connais pas, mais qui ressemblent en tout point à 100% à des pick-up Ford ou Chevrolet. Incroyable, je savais qu’ils copiaient les jouets et les AK-47, mais les autos ?? Les gens nous dévisagent longuement, quelques-uns sourient. Des vendeurs itinérants passent entre les voitures pour vendre leurs cintres, leurs sandales, leurs cacahouètes et autres fruits étrange ou petits sacs d’eau potable. Mamadou achète des paquets de cachous. Il nous en offre, elles sont très bonnes. J’en achète à mon tour, cela nous fera tenir le temps qui passe. Mais c’est pas tout ça… Là l’envie de pisser me pogne… faaaaack! Il n’y a aucun endroit discret pour faire ça ici. Mais bon ! À la vitesse à laquelle on se déplace, j’aurais presque le temps d’aller sur le bas-côté…

Des véhicules moins patients se mettent à circuler sur l’accotement, on se fait doubler à droite par toutes sortes de véhicules-poubelles jusqu’à ce qu’un autobus nous passe à son tour et que son moteur explose dans un grand panache de fumée noire, à peine 100 mètre devant nous ! Il vient de bloquer la troisième voie ! LÀ ça bloque ! Touuuuuut le monde veut passer devant les autres, sans respecter les autres, créant, empirant ce putain de bordel de bouchon de trafic de débile ! Putain qu’on se marre… les véhicules avancent toujours à la vitesse d’un têtard de grenouille, mais au moins avancent.

Bon, c’est bien drôle tout ça, mais je me sens un peu comme le diplomate en patrouille de l’autre jour… je n’en peux plus, je dois vraiment aller me vider la vessie! Sauf que je n’ai pas de bouteille… et de toute façon, je suis dans une boîte de pick-up, je ne vois pas d’autres alternatives que de débarquer. Je serais bien mal avisé de faire ça au fond de la boîte sous le regard amusé des passagers qui nous entourent. Regardant à gauche et à droite pour éviter les motos qui se faufilent entre les voitures avec le klaxon collé. Je me fou que les prisonniers du trafic m’observent à travers leur vitres de voiture, leur «pas de vitre» d’autobus ou leur plexiglass qui tient lieu de windshield, mais le petit blanc doit pisser au bord de l’autoroute, à 500 mètres d’un grand graffiti sur le mur qui indique « Uriner dans les rues est un comportement incivique – un message de la Coalition pour un Sénégal Propre ». Sorry, Je serai incivique. Dominic rit à fond en m’encourageant comme si j’étais toute une équipe de sport à moi seul.

Je saute du véhicule qui roule doucement et me faufile entre les voitures pour atteindre la bordure du chemin de gauche, trois voies plus loin, c’est là mon oasis. J’évite un scooter à deux têtes-pas-de-casque qui passe sur l’extrême gauche en bordure et complète les quelques mètres restants. Je grimace et en me dézippant déjà la braguette alors que je ne suis même pas rendu à l’arbre sur le talus que je convoitais… pu cappab ! C’est dret là !!

AHaaaaaaaaaaaaaaaa putaiiiiiiiiinnnnnnnn! Que ça fait du bien ! Fiouuuuuuu! Oui oui Mr le Diplomate, je vous promets que j’avais bien compris quand vous disiez ne plus pouvoir vous retenir la semaine dernière en allant au Lac Rose. C’est moi le junior en ce moment ! Sauf que je n’ai personne pour me tendre une bouteille d’eau vide à remplir sur un banc arrière de 4Runner!

Reprenant mes esprits et le jaune descendant de mes yeux, je pouvais maintenant observer devant moi. Oups ! J’aurais dû regarder avant !

Derrière le talus de bord de chemin, juste un peu plus bas que moi, une végétation incroyablement luxuriante, des fleurs, des bananiers, des arbres fruitiers… Cela ressemblait à un genre de potager de culture maraîchère, mais habité. Partout, entre les magnifiques étals de plantes qui explosent de vert, de tous les verts, il y a des??? Des quoi en fait ? Je ne sais même pas comment appeler cela ? C’est comme des cabanes, sauf que les murs sont en tôles pas clouée ou en toile pas attachée qui flacotte au vent avec des cordes qui pendent. Mettons, faites un carré de six pieds par six pieds par six pieds de haut. Demandez à un ti-gars du quartier, mettons pas plus de 6 ans, de se fabriquer une maison avec ça en lui donnant des cartons, un peu de toile et de la corde. Ha tiens pourquoi pas !? Si vous avez un vieux bout de tôle froissée et rouillée qui traîne derrière le garage, donnez lui aussi. Et donnez-lui seulement une demi-heure pour finir sa construction, avec pas de clous. Ta-Daaaaa !!

Bienvenue chez vous ! C’est maintenant votremaison.

C’est ça le résultat de ce que je vois. Des cabanes tout croches, construite (C’est un grand mot) avec presque rien qui « abritent » les gens qui entretiennent la place.

Cabane est même trop un beau mot pour ça. Je vois du linge accroché à des cordes, et des volutes de fumées qui s’élèvent ça et là. Cela semble donc habité. Sauf que, je me demande, est-ce que ce sont des super-pauvres-qui-se-sont-assemblés-dans-un-taudis-et-qui-ont-commencé-à-faire-pousser-de-la-verdure-avec-les-eaux-de-bord-de-chemin-sur-un-lopin-de-terre-non-réclamé-situé-à-quinze-mètre-de-l’autoroute ? Ou bien est-ce que ce sont des jardiniers qui ont décidés de se patenter des cabanes temporaires sur leurs lieux de travail pour éviter un retour à la maison le soir ? Aucune idée. Mais cela m’attriste de voir un tel niveau de misère. Comment peut-on vivre ici? Situé entre un marécage à moustique et une autoroute à poussière? Encore une fois, c’est un autre dossier… pour l’instant je dois retourner à la voiture, je ne m’attarde donc pas plus qu’il ne le faut.

Quoi que je fusse arrêté plusieurs minutes sur le bord, le pick-up n’avait pas avancé de plus de deux-cent mètres, j’ai donc rattrapé la distance à petite course sans me presser. « Alors? Comment tu te sens? » me demande Dominic alors que je rembarque dans la boîte de l’Autobot « prêt à danser à nouveau mec! ». Je lui partage alors un peu ce que je viens juste de voir sur la bordure de chemin, nous parlons des conditions économiques, de nos observations, la voiture accélère, le trafic s’étiole, s’aère et se distance. Bien, très bien. Nous reprenons de la vitesse, les cheveux à nouveau dans le vent. L’air de rien, nous venons de passer plus d’une heure pour traverser une zone de moins de trois km. Je crois en plus qu’il n’y avait aucune raison, pas d’accident, pas de construction… juste de mauvaises habitudes de conduites, une absence totale de règle civique et un manque absolu de courtoisie au volant ont créer ces conditions parfaites de bouchon intestinal autoroutier. Juste à penser à l’autobus qui nous a doublé sur l’accotement de droite pour tomber en panne cent mètre plus loin, empirant la situation, moitié sur le chemin, moitié sur la bordure… Bra-Vo!

Au moins, pour l’heure, c’est reparti. Nous arriverons tard chez Ali, il fait déjà noir, il est huit heure passé. Mais au moins ont a eu du fun, et une histoire à raconter.

Arrivée à Pikine

Notre chauffeur Mamadou ne sait pas trop où il va, à deux ou trois reprises, il me demande d’appeler Ali pour que ce dernier lui confirme les directions à prendre.

Nous finissons par aboutir dans ce quartier. Encore une succession de longues avenues, en asphalte cette fois-ci, mais avec du sable partout dans les rues adjacentes. Des commerces plus techniques, genre coiffeur, mécano, soudeurs, ferronniers, boulanger… pas de vendeurs de sandales ni de vendeurs de mouches-fraîches-sur-viande-au-soleil. Peut-être n’est-ce que l’heure après tout. Il est quand même près de huit heures trente maintenant. Quoi que les rues sont quand même fort occupées, beaucoup de passant, comme à toute heure du jour ici on dirait.

Sans trop d’hésitation, Mamadou quitte la voie asphaltée pour entrer dans un quartier, une rue en sable, quelle surprise. Toujours le même genre de maisons en rangées sur des rues étroites et ensablées. Façades de pierre, brique trouées ou crépi-sur-brique-trouées, couleur ciment, ou blanc, ou pastel, deux étages ou plus. Quand je dis rue, je veux dire large comme une piste provincial de motoneige. Il n’y a ni trottoir, ni bordures dans les quartiers résidentiels. C’est comme Keur Massar que nous avons traversé en allant au Lac Rose la semaine dernière. Tu as de la place pour passer deux auto et demie, pas plus. Donc s’il y en a une de stationné le long d’un mur, il ne reste de la place que pour une à passer. Les portes des maisons donnent directement sur les rues de sable. Du beau sable fin, difficile à marcher. Eux y passent leur vie. Et ont des cuisses de béton.

On tourne à gauche, à droite, à gauche encore et stop. De toute façon on ne peut plus avancer, quelqu’un a laissé un énorme tas de gravelle (ou détritus?) en plein milieu de la rue de sable. Là, juste là devant nous, comme ça, en plein milieu. Non Mais ! Peux-tu ben me dire OSTI qui cé qui dompe sa gravelle dans le milieu du chemin en se sacrant ben du fait que ca va couper la rue pis que p-A-rsonne pourra pu passer CÂLISSE ? Non mais TA-bouère ! Haaaaa l’Afrique ! Le chauffeur nous fait signe que nous sommes arrivés. Bon, ben au moins, on débarque ici…

On descend du véhicule. J’appelle Ali pour qu’il vienne nous chercher. J’ignore où nous sommes. Mamadou sort du véhicule, et allume une cigarette, toujours avec ses lunettes fumées d’aviateur sur le nez. Qu’est-ce qu’il a du style ce mec. Toujours beau, l’air d’un mannequin, avec des montres, des bracelets, des lunettes portées en vedette. Il est unique, car musulman, mais pas vraiment. Il aime être beau. « Qu’est-ce que tu fais ? » que je lui demande. « Ben je débarque! » « non, qu’est-ce que tu fais avec le camion? » « Ben je le laisse là! » « Comme ça? Au milieu de la rue? Au moins stationne le sur le côté pour en pas qu’il bloque encore plus le chemin des passants svp » « Ça fait rien, y’a pas d’autos » En effet, mais il y a des piétons par exemple. Et je ne me sens pas à l’aise de laisser mon véhicule comme cela, au milieu de la rue, même si elle est bloquée plus loin par un idiot qui a juste entreposée sa terre au milieu du chemin. Ali apparaît de la porte en fer située juste en face du véhicule à droite. Il salue Mamadou, les deux se parlent un peu en Wolof. Ali allume une cigarette, on jase un peu tous ensemble, Dominic raconte un peu l’histoire de l’autoroute. « En fait je vais aller faire un tour, à quelle heure tu veux que je revienne? » me demande mon chauffeur vedette ? Dans deux heures ! « Ok ». Il rembarque, fais marche arrière et quitte.

Chez Ali

« Avant d’aller voir papa, je veux vous montrer chez moi, ma maison, ensuite on reviendra manger plus tard. » « Tu n’habites pas ici ? » Demande Dominic.

« Non ici c’est chez la famille, moi j’ai une chambre un peu plus loin » nous répond Ali en commençant à marcher. On le suit. Ais-je besoin de préciser que les rues en sable sont faites de sable. Eux, tous, tout le monde au Sénégal marche en sandale ou en babouche ou en soulier ouvert. Nous bien entendu, on a nos espadrilles dans les pieds. Avec des bas.

Vous souvenez-vous la dernière fois que vous avez marché dans le sable très fin en soulier fermé, au bord d’une agréable et romantique berge de lac ? Tsé, genre plage à la mer ? Ça fait quoiiiiiiii? ÇA REMPLI LES SOULIERS BORDEL! Pis icitte toutes les rues sont en sable fin, mais fin ! Je vous dis pas ! Donc en plus de marcher un peu comme un idiot, essoufflé d’avoir à suivre Ali qui a un rythme de dément, j’ai des bosses de sable qui se créées sous mes plantes de pieds et rend la marche encore plus inconfortable. Putain ce que je déteste avoir du sable entre les orteils. Et mes bas sont pleins de sable. Mes espadrilles sont pleines de sable. Je serais mieux nu-pied finalement, mais il y a trop de cochonneries dans le sable qui risque de me couper pour marcher nu-pied.

Nous remplissons donc nos souliers de la sorte pendant une dizaine de minutes comme ça, et arrivons à une petite rue dans une petite rue, juste entre deux petites rues. « C’est ici » nous mentionne Ali en passant le bras par-dessus une porte de fer pour déverrouiller le loquet de l’intérieur. Grincement sur des gonds rouillés « Attention à la marche » et nous passons le mur.

Petit corridor sans toit donnant sur une cour intérieur, toujours sans toit, mur mitoyen avec le voisin à droite, 4 portes de chambres à gauche donnant sur le mur de gauche. Ali a la dernière chambre. En face de sa chambre, donnant sur la cour intérieure, deux porte. La toilette et la douche. La toilette consiste en un trou au sol, avec un pot de margarine d’eau pour se rincer les fesses (toujours de la main gauche), et la douche en un trou au sol avec une chaudière d’eau. C’est tout. En fait, pour la douche, vous pouvez utiliser le même pot de margarine pour vous immerger en puisant l’eau dans la chaudière, c’est plus pratique.

Ali nous invite à entrer dans sa chambre. Nous nous déchaussons à l’entrée. J’ignore à quoi m’attendre. Ouvre la porte, passe le rideau…

Wow. Petit, mais super clean. 10X12, murs blancs-bleu-propre-luisant, et propres, une photo d’un quelconque saint musulman au mur, tapis sombre qui couvre tout le sol, tapis rouge au milieu, ce qui donne un bel effet. Petites chaises rouge, petite table, coussins rouges, matelas double au sol, couvre-lit foncé et rouge, rideaux rouge. Ultra cohérent, minimaliste, fonctionnel, droit. J’aime. C’est super ! Beau petit meuble qui accueille sa tv et son système de son. J’aime ! Il est foutument bien organisé le petit mec. Comme dans sa tête. On s’assoie, il nous offre une boisson. Le moment est délicieux. Je suis enfin chez mon Ali. Je peux enfin voir à quoi ressemble sa vie, sa maison, son organisation mentale, c’est important. Nous ne restons que quelques minutes dans sa demeure, il tient à nous montrer son quartier à Dom et moi. Pas de problème, on est là pour ça mon homme…

Visite de quartier

Nous ressortons donc sans tarder pour nous diriger immédiatement chez l’un de ses amis, qui est DJ et qui organise des soirées. Nous marchons dans les petites rues (au Canada nous appellerions cela des ruelles, à peine la largeur d’une voiture) jusqu’à un local situé à 200m de chez Ali. De la musique en déborde à plein régime par les haut-parleurs sortis dans la rue pour l’occasion. Wow! I’m impress !

Il y a un rack de lumière au plafond, d’immenses haut-parleurs empilés à droite, un ordinateur portable ouvert branché sur une console musicale, un clavier et des tables tournantes. La musique ne s’interrompt pas, le Dj a des écouteurs sur la tête qui balance au rythme de la musique. Il est en train de préparer ses mix. Il nous salue du regard en tapant le poing de Ali. Deux mecs sont assis, affalés sur des chaises à gauche en battant de la tête, le long du mur. Le local est petit, et rempli de tout son équipement de location pour soirées animées. Nous ne pouvons pas parler tellement la musique est forte, ça crache à plein tube, c’est pas mauvais. Ali glisse un mot au Dj, ce dernier me regarde et sourit, il enchaîne avec de la musique techno, très actuelle. Mon sang s’accélère, mes cheveux se dressent, mes lèvres s’étirent sur un sourire satisfait, et ma tête se met à balancer aussi… Dominic et moi sommes impressionnés. Le mec performe bien en fait ! Très bien ! Il nous joue quelques pièces super modernes, que l’on pourrait tout à fait entendre dans nos clubs de Montréal. J’aime. Beaucoup.

« Vous savez, moi je suis aussi animateur de soirée avec mon ami ici. Il joue de la musique, et moi je jam et je slam par-dessus – c’est lui qui m’a tout montré » nous précise Ali. Et il prend le micro et se met à faire des bruits de bouche sur le rythme. Mais c’est qu’ils sont bons ces petits black !! Qu’est-ce qu’ils ont le rythme !

Après quelques pièces, retour à de la musique sénégalaise, baisse du volume, échange de quelques mots. Je félicite le Dj propriétaire pour son entreprise. J’espère avoir la chance un de ces quatre de participer à une soirée. Mais ce ne sera pas au cours de ce voyage, puisque nous repartons dans deux jours.

Nous aimerions bien rester encore, mais si on veut manger et passer un peu de temps ensemble, nous devons y aller… Je fais signe à Ali, et nous retournons là ou Mamadou nous avais laissé.

À la maison familiale de Ali

Nous re-remplissons donc encore nos souliers en direction de la maison familiale. Ali nous invite à le suivre au travers de la porte de fer. Grincement sur des gonds rouillés « Attention à la marche » et nous passons le mur.

Nous empruntons un corridor de 4 mètre, pas de toit, un robinet d’eau avec une bassine de renvoi directement à ma gauche, dans le mur. C’est l’eau de la maison. (Il n’y a qu’un seul point d’eau, et pas d’eau chaude bien entendu. Mais on s’en fou, puisque les tuyaux passent dans les murs de terre chauffés au soleil, à l’année longue, donc l’eau est TOUJOURS chaude, ou tiède). Le corridor débouche sur une cour intérieure grande comme une petite piscine hors-terre. Le mur de droite est le mur mitoyen de la maison voisine, il est notre limite visuelle. Sur ma gauche, de l’intérieur de la petite cour sans toit, s’ouvrent cinq portes qui donnent sur des chambres fermées. Nous avons le salon, la chambre du patriarche, une chambre, une autre chambre, la cuisine je crois[1], et la porte de ce qui tient lieu de toilettes[2]. Le mur qui ferme le « fond » de la cour (à 10 pieds de moi) est aussi percé d’une porte, c’est la chambre fermée de la Matriarche.

Donc, les deux chambres sont occupées par des enfants du patriarche. Deux mâles dans le cas-ci, accompagnées de leurs épouses. Et des enfants. Et d’une fille-sœur ici ou là. Et de je ne sais pas qui, mais finalement, il y avait bien une dizaine de personnes dans cette maison. Ali n’y habitait pas, mais son papa à lui si. Avec sa deuxième épouse, la première et mère d’Ali étant morte. C’était l’un des fils du patriarche. C’est tellement compliqué comme histoire de famille, je n’y comprenais rien ! Ils sont tous le fils-frère-père-cousin-neveu-ou-oncle de quelqu’un. Donc quand Ali m’a présenté le gars comme étant son père, je n’y ai pas tant prêté attention. Le gars avait l’air d’avoir 28, 34 ans au maximum. Et Ali, quoi qu’ayant l’air de 19, avait quand même 26 ans. Donc je n’ai pas cru que ce mec était son père biologique. Ils ne se ressemblaient en rien, et Ali faisait une bonne tête de plus que son lui, 44 ans, mais très solide et en forme. Il devait tenir de sa mère j’imagine.

Il me présente aussi son oncle de l’autre chambre, il y des femmes assises par terre dans la cour, des enfants qui crient et jouent, excités de notre présence, et à travers cela, des bébés. Il y a au moins deux ou trois bébés dans cette maison. Mais qu’est-ce qu’ils font des enfants ici ! C’est fou ! En fait c’est drôle, car autant moi je vois des enfants partout ici, de façon anormale (pour moi), et autant, quand je leur montre des photos de Montréal, du Canada, ou de ma petite vie, ils disent tous « mais où sont les enfants sur tes photos ? »

Les femmes assises par terre dans la cour semblent préparer le repas dans des assiettes de tôle. Genre grandes assiettes de services. Cela sent très bon. Une marmite fume au-dessus d’un réchaud à gaz, un simple brûleur vissé directement sur le dessus d’une bonbonne de gaz, avec un genre de support en broche pour supporter le poids des marmites. Ali donne quelques ordres en passant, les femmes nous saluent timidement en baissant les yeux. Aucunes ne parle français, sauf un peu les plus vieilles. Mais elles sourient toutes, heureuses de nous accueillir. Une ampoule éclaire la scène. Je suis bien, je n’ai pas trop chaud pour une fois. Et je me sens en confiance avec Dominic, j’admire beaucoup son attitude calme et raisonnée en toute circonstance, il est vraiment un bon partenaire de voyage ce mec.

Ali nous conduit au patriarche, il est dans le salon. Dominic et moi enlevons nos chaussures à l’entrée et pénétrons dans la pièce. Papi Abdu Sow (ab-dou so-ho) est là. 70 ans je dirais, 5 pieds rabougri par les années, des cheveux courts et blancs, vêtu d’un boubou doré avec un bâton dans la bouche. Les dents jaunes et brunes, pour ce qui en reste, des yeux fermées par les cataractes mais encore brillants de malice et de curiosité. La main solide, Abdu nous accueille chaleureusement dans sa demeure en nous souhaitant la bienvenue et en nous offrant sa bénédiction. Dominic et moi prenons le temps de le féliciter et de lui dire qu’il a de beaux enfants. Nous vantons aussi les qualités humaines de son petit-fils Ali, qui s’est avéré pour nous une ressource extraordinaire au cours du dernier mois. Il est bien content, mais je crois qu’il préfèrerait qu’on le remercie avec un gros chèque.

La pièce est vide à l’exception d’une tv dans un coin, qui a des couleurs complètement déphasées. Vous savez quand les vieilles télés cathodiques devenaient toute bleue, ou vert, ou jaune, ou rouge. Genre que vous voyez l’image, mais toutes les couleurs sont dans le mauvais ton. Et bien celle-ci était verte. Et jaune dans un coin. Même la neige due à la mauvaise réception n’était pas en gris, mais en vert-bile-de-foie.

Il y a quelques tapis, des photos de saints musulmans au mur, de même que des photos grands formats du patriarche et de l’une de ses femmes (les sénégalais ont droits à 4 femmes – mais je crois que Abdu n’en avait eu qu’une seule). Des petits bancs en bois pour enfant sont au sol. En fait je réalise qu’ils ne sont pas pour enfants. Ce sont des bancs en bois. Point. Il n’y a aucune table. Le salon a une porte mitoyenne avec la chambre de papi, et une fenêtre qui donne sur la façade, la rue. Environ 12X16 (+-3m X 4m) avec des plafonds de dix pieds. Peint couleur pêche-sable, à l’huile, ultra luisant. Les murs reflètent la lumière, mais exposent aussi les années passées sans êtres frottés ou lavés. Des coulisses de brun ornent les coins de mur, des filets de poussière pendent du plafond et des murs. En fait, si je regarde bien, pêche-sable n’est peut-être pas

vraiment la couleur d’origine… C’est peut-être devenu sable au fil des ans…

Pendant que nous discutons, les femmes arrivent, installent un tapis au sol, y disposent un grand plat couvert et fumant qui sent délicieusement bon, quelques verres et un pichet d’eau, et voilà! « C’est servi » lance l’une des femmes. Du moins c’est ce que je présume, puisque c’était en wolof, mais de là, Ali nous fait signe de nous asseoir autour du grand plat.

Le vieux, Ali, Dominic et moi prenons place autour de l’assiette, sur le tapis, avec les genoux par en dessous, ma position préférée. J’attends que les femmes viennent nous joindre et les invite à prendre place. Elles rient. « mais non mon ami, il n’y a que nous qui mangeons » me dit Ali en riant. « et les femmes? » « elles mangeront après ».

L’une de femmes soulève le couvert de l’assiette peu profonde, grande comme un cabaret de service dans un bar, une large volute de vapeur s’élève, wow…

Sur un lit de riz, une généreuse portion de légumes cuits avec une sauce aux oignons recouvre un poulet entier, doré et assaisonné disposé au centre. Mais-qu’est-ce que ça sent bon ce truc ! Il s’agit d’un « Yassa de poulet », un plat typiquement sénégalais. Sitôt, Papi et Ali nous invite à nous servir. Mais Dominic et moi échangeons un regard un peu perplexe. Nous ne sommes guère habitués à manger avec nos mains. J’observe donc comment ils font. Mais je ne peux m’en empêcher, et me met à rire, gêné de la situation, je me sens idiot, et très malhabile. Car il faut savoir que je n’aime pas manger avec mes mains. Jamais je ne touche à ma bouffe si j’ai des ustensiles. Je suis un expert avec des ustensiles, je peux vous nettoyer une aile de poulet jusqu’à l’os, mais je ne touche à peu près jamais à ce qui entre dans ma bouche. Et je déteste avoir les doigts collants ou huileux ou mouillés. Je ne supporte pas ça quand je mange. Même pour une frite et un hot dog, je suis le genre à m’essuyer les doigts entre chaque frite avant d’avoir fini mon casseau. Sauf que là…

Je regarde Ali et Abdu, qui avec des mains expertes (la main droite toujours – on s’essuie les fesses avec la gauche, on mange avec la droite, c’est donc extrêmement mal vu que d’utiliser sa main gauche pour manger) démembrent et séparent la viande de la carcasse du poulet. Il est tout petit ce poulet, tout petit. On dirait une perruche, et c’est garanti qu’il n’a pas été élevé aux hormones de croissance. C’était peut-être même un poussin adolescent… ou une vieille poule finie. Abdu se met quelques morceaux dans la bouche et voyant mon inhabileté, rit lui aussi et entreprend de nettoyer le poulet pour me mettre des morceaux de viande devant moi. Mouais… moi qui ne voulais pas jouer dans ma bouffe ni lui toucher, je me retrouve à devoir bouffer tout mon repas arrangé directement de la main de papi Abdu… Bon! Ben ce sera ça ! Ali fait la même chose pour Dominic, mais ce dernier est plus habile que moi. Ce n’est pas son premier voyage en Afrique. La technique semble simple, mais pas très sexy. Avec votre main droite, vous faites une genre de cuillère et la remplissez de riz-légumes-viande-ou-whatever pour la balancer dans votre bouche en sortant la langue. Je ne suis pas très habile et en met partout. Un vrai désastre. Et en plus mes genoux me font terriblement souffrir. Je ne suis pas assis depuis 6 minutes que je n’en peux plus. En riant je m’assoie en indien, c’est moins pire, mais manger par terre penché au-dessus du plat n’est pas ma position favorite.

Abdu dit un mot aux femmes qui sont ressorties de la pièce, et l’une d’entre elle m’apporte un petit banc de bois, ainsi qu’une cuillère tordue ayant connue des jours meilleurs, seul ustensile disponible. Ils ont une fourchette aussi, qu’ils offrent à Dominic. Je m’empresse d’accepter l’outil-de-nutrition-pour-un-canadien-un-peu-idiot-et-maladroit-qui-ne-mange-jamais-sans-serviette-de-table-ou-un-rouleau-d’essuit-tout-pas-loin. Je déguste mieux maintenant, en me concentrant sur la partie devant moi. C’est délicieux, très savoureux, chaud, bien cuit et texturé. Sérieux ? Un 8/10 au moins. J’ai mangé bien pire que ça dans ma vie… et Dieu sait que je suis « picky » sur ma bouffe. Pas difficile, mais sélectif.

Le concept est cool en fin de compte, c’est comme manger une tarte tous ensemble. Vous mangez la part devant vous, et quand arrive la fin, il ne reste qu’un genre d’étoile au fond de l’assiette, tous ne mangeant pas vraiment le centre par politesse. Et à ce stade, les femmes en rajoutent toujours malgré nos objections. Quoi que la poule-perruche fût petite, nous en avons eu amplement pour nous rassasier à quatre hommes, le riz et les légumes comblant aisément la balance de viande. Bon poulet savoureux sans hormones de croissance. J’étais très satisfait de ce délicieux repas. Mais mal à l’aise de la zone d’abattage tout autour de moi. On dirait qu’un chacal est passé par là. J’ai fait un dégât digne d’un gosse de 3 ans sur le tapis de bouffe, il y a une autoroute entre l’assiette et mon secteur. Je m’en excuse mais cela ne semble pas poser de problème pour eux.

Dans un geste de la main avec une parole, Ali indique aux femmes que nous avons fini de manger. Elles apparaissent à nouveau, l’une prend l’assiette, l’autre le tapis et une troisième le pichet et les verres. Dominic et moi sommes un peu mal à l’aise de nous faire servir de la sorte. Je me verrais très mal demander à ma femme, ou ma sœur, ou n’importe qui d’ailleurs de me préparer la bouffe, de me la servir, de rester en arrière pendant que je bouffe, pour lui faire desservir la table sans que je n’aie levé le petit doigt. Mais c’est comme cela ici, l’Homme est roi. La femme est servante. L’Homme est tellement roi que lorsqu’il avance en âge et sa femme ne lui convient plus, ou n’est plus « bonne », il va simplement s’en chercher une deuxième plus jeune, et une troisième, jusqu’à une quatrième femme pour son service sexuel et domestique. Il a cependant l’obligation de donner la même qualité de vie à toutes ses femmes. C’est-à-dire que l’une ne peut habiter un manoir si les autres sont dans des bidonvilles. Elles doivent toutes êtres de même condition économique. Et tant que l’homme ne peut subvenir équitablement au bien-être de toutes ses femmes, il n’a pas le droit d’aller en marier une autre. C’est au moins ça.

Et la jalousie dans tout ça me demanderez-vous ? Comment fait la première épouse pour accepter que son mari ne soit plus satisfait et va s’en chercher une petite jeune ? Et bien disons que je n’ai pas tout compris, car très c’est complexe, mais il semblerait y avoir une acceptation totale et nécessaire à la bonne entente. Si chaque épouse a sa maison, ses enfants et son autonomie, finalement, c’est mieux ainsi. Le mari dort deux ou trois jours dans une maison, ensuite il va dans sa seconde, puis dans sa troisième maison et ainsi de suite. Les femmes n’ont pas à le subir tous les jours, et lui peut se changer les idées à son gré. C’est LA solution qu’ont trouvé les sénégalais au problème d’infidélité, à travers leur courant de l’Islam. Il est INTERDIT de tromper ta femme. Si tu en veux une autre, trouve en une et marie là, c’est tout. Problème réglé.

J’ai quelques copains ayants des maîtresses à qui le concept plairait certainement, mais encore là. Un coureur de jupons peut-il se contenter de deux femmes comme d’une seule ? Sa recherche n’est pas dans l’éjaculation, mais bien dans la chasse et l’acquisition de nouvelles conquêtes. Non ? Donc pas sûr que cela comblerait vraiment le besoin maladif de certains mecs de coucher à gauche et à droite. Quant aux femmes occidentales, pas besoin de vous dire ce qu’elles en penseraient…

La digestion

Nous sommes tous quatre repus, souriant bêtement en regardant la tv-en-vert-et-jaune-dans-un-coin-en-bas-de-l’écran-avec-de-la-neige-vert-malade-au-lieu-du-gris. C’est un show de musique sénégalaise. Le son est tellement mauvais que nous entendons à peine ce qui se chante. Ce n’est pas le son de la tv qui est mauvais, mais le son du spectacle tout court. La captation sonore est très mauvaise, trop forte, avec moult distorsion.

C’est ça l’Afrique ? Ouais, c’est ça l’Afrique.

This is Africa.

L’une des femmes, je crois que c’est une sœur ou une aide-ménagère (c’est la même chose) nous apporte le thé. Délicieux. Toujours délicieux le thé ici. Nous buvons en silence et savourons le moment. Je suis bien, heureux, reconnaissant à l’Univers. Je remercie Allah. Alhamdoulilah! (merci Seigneur – al-ham-dou-li-la) pour emprunter une de leur expression en wolof.

Départ

Notre heure de tombée approche malheureusement, et nous devons déjà penser à nous retirer, même si Ali voudrait bien que l’on reste encore un peu. Il est tard, nous devons partir.

Nous remercions Papi Abdu pour son accueil, les femmes pour la bouffe délicieuse, saluons les fils-oncle-papa-et-enfants présents et nous dirigeons vers la sortie, par la porte de fer. Mamadou est là, toujours vedette avec ses lunettes et un cure-dent dans la bouche. Il parle au téléphone comme la majorité du temps. Il a toujours une fille en travail ce gars-là. Nous lui faisons signe de démarrer le véhicule pour se diriger vers le chemin principal. L’Autobot roule tout doucement à nos côtés, Dominic, Ali et moi marchons les derniers cent mètre avant d’embarquer sur l’asphalte afin d’étirer encore un peu le temps.

Alors que nous venons de nous serrer et de nous dire nos adieux, Mamadou fait une fausse manœuvre pour embarquer sur le chemin asphalté, et comme un jeune, il cale le moteur au milieu de la rue, bloquant ainsi la circulation. Rien de dramatique, mais considérant les qualités de conducteurs des sénégalais et leur courtoisie au volant, il y a deux véhicules qui, au lieu de lui laisser quelques secondes pour redémarrer, tentent de passer devant lui, derrière lui, mais en même temps, un autre véhicule s’avance et tout d’un coup, bouchon ! Mais total ! Bande d’idiots ! Bravo ! Maintenant plus personne ne pouvait ni reculer, ni avancer, et Mamadou ne pouvait plus bouger le véhicule pour libérer la voie. BRA-VO !! Les gens se mettent à gueuler, Mamadou engueule quelqu’un qui l’engueule, et Ali se met de la partie. Dominic et moi sommes interloqués devant tant de bêtise spontanée ! Alors qu’il n’y avait AUCUNE raison de créer cette situation, on vient de passer du calme le plus total à une panique générale. Mais où était la religion de paix en ce moment ? Pas ici !

Une camionnette force le passage, embarque sur l’accotement, passe presque sur Ali. Sans hésiter, il saute sur le véhicule, assène un coup de poing au chauffeur, ce dernier lui en donne un à son tour, et là, Ali se fâche.

Alors que le véhicule essai de s’éclipser, ne me demandez pas comment, mais Ali s’accroche au cadre de porte, puis au pare choc et frappe sur la voiture de manière enragée comme dans terminator, la camionnette accélère, Ali saute du véhicule, ramasse des roches et court derrière le véhicule en lui tirant les roches et en criant des noms. L’autre se sauve dans un nuage de fumée noire et puante. Je suis flabergasté. Ayoye ! Pendant ce temps, les autres véhicules qui s’enculaient sur le chemin réussissent à se déprendre et se remettent en chemin. Tout cela aura duré moins d’une minute. Ayoye again ! Non mais à quoi venions nous juste d’assister en fait ? C’était quoi ça ? Notre Ali si gentil et si doux, et si poli était en fait un Lion! Putaiiiiiin ! Mais c’est un chat de ruelle ce mec ! « C’est comme ça que ça se passe ici Chris – ne laisse personne te manquer de respect, c’est l’Afrique tu sais… ». Si tu le dis…

Pendant ce temps, Mamadou s’est retiré sur le bas-côté et nous attend sur les 4 flashs, un cure-dent à la bouche, les lunettes sous le menton. Il rit. Bon ! N’en faisons pas un cas. Dom et moi re-saluons Ali, qui rit aussi finalement, je le traite de chat de ruelle en riant, nous embarquons dans notre boîte de pick-up, deux tapes sur le toit pour signaler au chauffeur qu’on est prêt, et go, retour à l’hôtel.

Chris

[1] Ce qui en tient lieu du moins – mais surtout, n’imaginez rien, absolument rien de ce que vous associez à une cuisine qui puisse décrire ces cuisines sénégalaises

[2] Encore une fois, n’imaginez pas trop fort, mais imaginez surtout une pièce vide, avec un trou, pas d’eau courante, simplement un pot de margarine avec de l’eau qu’on rempli au point d’eau. Oubliez tout de nos concepts. Et le papier aussi… oubliez le papier. Et faites avec.

SUR FACEBOOK

Article suivant SEN1-11 https://www.facebook.com/notes/les-paroles-de-chris/cvcs-sen1-11-soir%C3%A9e-spectacle-de-d%C3%A9part/1516038488551080/

Article précédent SEN1-09 https://www.facebook.com/notes/les-paroles-de-chris/cvcs-sen1-09-small-act-speak-loud/1516036691884593/

Album photo de déplacements variés https://www.facebook.com/christophe.cote.355/media_set?set=a.10152179943345353&type=3