Jour 16 – Mardi le 8 décembre 2015
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Titre : MEETING AVEC GREG – 8 DEC 15 EN PM
Depuis des semaines je cours après ce mec. Et qui est-il bon sang ? Comment se fait-il que personne de l’entourage de Junior n’aie jamais entendu parler de ce mec, sauf de ce Stefane Panet, chum du cousin d’une amie de Jun de Thunderbay (voir cahier notes), qui confirme que Greg connaît Jun DEPUIS thunderbay (!!??)
Pourtant, moi, qui ai été aux côtés de Jun depuis 2005 n’ai jamais entendu parlé de ce mec. Jamais. Et je connais pas mal tous les amis de Junior.
Depuis des semaines que je cherche ce trou de cul. Il s’est sauvé en Nouvelle-Écosse selon Seb ! Incapable de supporter de rester ici pour nous affronter. Je dois faire très attention car il a accepté de me rencontrer. Je ne dois pas le perdre.
J’ai à peine vu une photo de lui captée sur FB et aurais de la difficulté à le reconnaitre dans la rue. Je dois garder mon calme et ne surtout pas lui laisser sentir ma haine à son endroit. Je n’en dors plus, j’angoisse et dois absolument savoir ce qui s’est passé et bordel de merde, mais pourquoi donc ne retrouve-t-on pas ses effets, sa casquette et ses vêtements ?
Et puis MERDE !! Je DOIS savoir pourquoi, mais pourquoi diable ONT-ILS SORTI Junior sur le trottoir ? Pourquoi était-il nu, seul et abandonné sur le trottoir, comme un itinérant lorsque les ambulanciers sont arrivés?? Comment se fait-il qu’ils aient penser à sortir un homme MORT sur la rue ?
N’y avait-il pas une éthique humaine minimale ? N’y avait-il pas une dignité obligatoire qui aurait DÛE être respectée dans cette circonstance ?
Et bien même pas… Cet enculé de mes deux avait sorti l’amour de ma vie dehors, sur le trottoir, par un froid lundi de novembre. Junior était mort seul et abandonné au coin de la rue St-marc et de l’Avenue Lincoln, à deux pas littéralement de son ancien appart qu’il a habité jusqu’à l’an dernier.
Je ne lui pardonnerai jamais cela. Ce gars devait être un monstre sans compassion. Je n’attendais QUE ce moment pour enregistrer sa déposition, et ensuite je lui ferai la peau à cet espèce de meurtrier. Je ne rêvais que de lui faire ressentir ma douleur et ma peine.
Après être arrêté chez La Source pour m’acheter en vitesse une enregistreuse numérique, j’y installe les batteries et m’assure de son fonctionnement. Je sais parfaitement ce que je fais, et sais que ce n’est pas vraiment légal, mais bordel ! Rien à foutre ! Je veux la peau de ce gars-là !
Et merde que voulez-vous que je fasse ? bordel ? La police me dit qu’il n’y aura pas d’enquête. Personne ne l’a forcé à faire ça selon eux… mais bon sang ! Il y a toujours ce mec qui en avait sur lui ! Je ne sais pas ce que je vais chercher, mais j’ai besoin de réponses, et c’est ce Greg qui les as…
Je stationne la voiture près de l’université Concordia, mes mains tremblent, j’ai la bouche sèche et les oreilles qui bourdonnent. Je me sens comme juste avant d’aller à une attaque au combat.
Ça va, mon enregistreuse est partie, sa mémoire numérique engrange ses premiers kilobytes. Je me mets en mode «patrouille». Je marche sur la rue, mais ne le vois pas. Je ne sais pas s’il se présentera l’enfoiré. Va-t-il se défiler ?
Je reçois un texto «i’m sorry i was on the wrong street» Putain ! Est-ce qu’il se présentera?
Angoisse.
Je vois ce mec qui apparaît au coin de la rue, il marche vers moi. Oui ça ressemble aux photos FB. Il marche vers moi, ce doit être lui. Plus que trois mètres, il tend la main «Chris, i’m Greg».
En face de moi, un jeune homme d’à peine vingt ans, freluquet et pâle. Il n’a pas l’air en santé du tout, son teint est vert, il a le nez ravagé par de violentes pustules, de même que tout le haut des joues. Cela lui dessine une sorte de masque sur le visage tant il est rouge et violacé. Étonnant pour un jeune d’avoir le nez d’un vieil alcoolique défoncé depuis 50 ans… Ses yeux d’un bleu azur me regardent à peine, fuyant mon regard.
Je suis bouleversé, et s’il n’en tenait qu’à moi, alors que je lui tiens la main, j’en profiterais pour lui faire un crochet de la gauche et lui ouvrir les dents sur la borne fontaine. Mais non. J’ai presque pitié de lui, mais n’en oublie pas qu’il est le gars par qui le drame est arrivé, et qui a FOUTU Junior sur le trottoir ! Merde ! Je me mords la lèvre inférieure pour ne pas parler.
On s’organise rapidement et on se déplace vers un premier restaurant. Ça ne convient pas.
NDLR : «J’ai pas mon portefeuille donc on va aller au resto de mon oncle» ??
Un deuxième. Ne convient pas non plus.
On prend alors ma voiture, et on se dirige vers l’avenue du parc.
«J’ai un oncle qui a un resto là-bas. On va y manger tranquille»
Pendant ce temps, je lui pose des questions sur lui-même, gardant les plus importantes pour le resto. Nous sommes tous deux nerveux, il commence son histoire…
«Tu sais Chris, Junior était un ami pour moi, je crois qu’il avait le plus beau sourire du monde, et t’as pas idée à quel point je me sens coupable et malade de ce qui s’est produit. J’ai fait des cauchemars pour 4 jours et j’ai pleuré pendant une semaine.»
Immédiatement surgit en moi une pulsion outragée que je réprime fortement
— BIEN SÛR QUE TU TE SENS COUPABLE BORDEL ! C’EST TOI QUI LUI A DONNÉ CETTE PUTAIN DE MERDE!! —
Je lui demande plutôt «Qui est tu et qui était Junior pour toi Greg?»
NDLR : À ÉTOFFER EN ENTRE LIGNES
Il m’explique un peu qui il est, d’où il vient.
Fils d’immigrés grecs, ses deux parents sont morts il y a 5 ans dans un accident. Il est le soutien familial pour lui et sa sœur depuis l’âge de 17 ans. Il en avait 22.
«Je suis super stressé pour ce qui est arrivé à Junior, car actuellement je travaille très fort pour payer l’Université à ma sœur, et on n’a que l’un et l’autre comme famille pour nous supporter ici…»
Et ton oncle ?
«En fait c’était un ami de mes parents, et il a été là quand ils sont morts. C’est comme un oncle.»
Mouais…
Il poursuivit.
«Je sais que cela semble peut-être complexe, et dur à croire, mais je vends actuellement de la drogue pour payer les études de ma sœur à l’Université, et j’essaie d’être le plus correct possible avec ça.
Je connais «my shit», je connais les quantités, les effets potentialisateurs de l’alcool et l’incompatibilité des substances! Je leur ai dit ! Je leur ai dit Chris! Je leur ai dit que c’était dangereux. C’est de l’oxycodone ultra strong (Valider dans note vocale)! »
Ok!
Ok! Donc le petit mec semblait savoir de quoi il parle ! Il n’était pas qu’un putain de dealer inconscient. Cela devenait intéressant. Il n’avait envie que d’une chose : se confier pour alléger son fardeau. Un simple coup d’œil suffisait à le relancer sur le sujet, alors que nous nous déplacions toujours vers le resto de «son oncle». Je suis très concentré sur ce qu’il me dit, et conduit comme dans un rêve, sur le pilote automatique. Je ne veux pas couper court à son flot, même si je sens que cela va presque trop vite. J’ai mille questions avant de plonger directement sur les circonstances de la mort elle-même…
Mais je laisse aller. C’est pour ça que je suis ici. Junior donne-moi la force my love… J’étrangle un sanglot.
- Qu’est-ce que c’était comme cochonnerie ? Des pilules ou des patchs ? Du vrai shit médical ou de contrebande ?
Il poursuit, brouillon et confus tellement il a à dire.
«J’averti toujours mes clients, et mes amis de ce que je leur donne. Je me renseigne et c’est important pour moi parce que mes clients sont mes amis. Je ne veux justement pas qu’il arrive quoi que ce soit…
C’était des comprimés de contrebande. J’avais eu ça pour des clients qui ne les ont pas pris l’an dernier.
Mais tu sais, on était vraiment tous pété, et ce fut une terriblement stupide décision de ma part, mais je les ai laissé faire, parce que la fille était là.»
Attends, de quoi tu parles ? Pense-je en moi-même.
Sauf que je n’ai pas le temps de poser la question, que nous arrivons au restaurant de son oncle. Un quelconque resto grec, avec un lettrage en lettres bleues et blanches, vous savez avec cette sorte de lettres un peu carrées qu’on associe aux grecs.
Je stationne la voiture. Il pleut. Un temps gris et froid.
La porte d’en avant est barrée, on fait le tour et go par la porte arrière. Nous arrivons par les cuisines. Odeur de poisson, cris enjoués, nous passons invisibles entre les comptoirs. Personne ne fait attention à nous, Greg est visiblement chez lui ici. Il pioche un bout de je ne sais quoi sur une table et s’adresse à ce qui semble le patron, dans une langue que je ne comprends pas, et dont même els sonorités ne me reviennent pas en mémoire. Du grec j’imagine.
«On va s’installer au bar à l’avant. Le resto est fermé pour encore deux bonnes heures.»
En m’avançant dans le resto vide, je comprends pourquoi nous sommes ici.
J’étais trop excité de juste l’avoir entre mes mains tout à l’heure, et n’ai pas vu la manœuvre sur le coup. Mais est-ce que toute l’histoire du portefeuille oublié ne serait pas qu’un prétexte pour me forcer à accepter d’aller dans un endroit ou lui n’aurait pas à payer – chez son oncle – et ainsi, être dans un endroit sécure, dans SON territoire ? C’est possible.
Mais en fait, il s’agissait là pour moi d’un avantage. Car en termes de négociation et de communication, je me savais pleinement en moyen de mes propres capacités. Tout avait été réfléchi, pensé et digéré bien à l’avance. Ma colère et mes émotions ne viendraient pas perturber mon processus d’enquête, car elles avaient été amplement exprimées et apprivoisées depuis les dernières semaines.
J’avais donc tout avantage à ce que LUI soit dans un environnement sans stress et confortable POUR LUI. Le voulant sans défense et ouvert, je n’aurais pas pu souhaiter meilleure mise en contexte que son propre environnement afin de le mettre en condition pour se confier en toute confiance, sans crainte, et sans interruption.
Je vais à la toilette. Réajuste mon enregistreuse et reviens au bar. Ça va bien en fait je dirais. Je me sens très confiant et en contrôle. Je ne suis pas ici pour m’exprimer moi, mais pour le faire parler lui.
- Alors Greg, dans la voiture tu en étais à me dire que tu les as laissé faire parce que la fille était là… Que voulais-tu dire ?
« Et bien tu sais ce que c’est Chris, moi quand je vois une belle fille je suis pas capable de dire non»
- Dire non à quoi ? Je ne te suis pas mec…
Greg semble enfin se calmer et commence l’histoire du début.
«Lorsque nous sommes arrivés chez moi, il devait être 8h du matin environ. Il me restait de la Blow et de la Boose. Tu sais bien que c’est pour ça que Junior est venu. On a alors continué de nous péter la face avec du jus et de l’extasy jusque vers 1030, alors que je n’avais plus rien. Juste de la coke, mais ça nous faisait pu rien.
Tanya et Jun se sont alors mis à fouiller dans mon pot de pilules. J’avais pu grand-chose, mais j’avais ces pilules-là, que j’avais acheté pour un client l’an dernier, et il ne les a jamais prises. Ce sont donc des pills qui trainaient là depuis longtemps. Je les donne pas à personne parce que c’est dangereux.
Ils m’ont demandé ce que c’était. Je leur ai dit que c’était du Fentanyl, oxycodone, i told them to not take it. Je leur ai dit de ne pas en faire, mais la fille a dit «fuck it, i wana try it !» et Jun aussi a dit why not !?
Ils étaient deux, j’étais pété et j’ai été stupide. J’ai voulu plaire à la fille.»
Attendez ! Non ! Ça ne pouvait pas être si simple… Et j’étais effrayé de ne pas avoir à chercher plus longtemps. Car je connaissais Junior. Quelqu’un d’autre aurait pu avoir la présomption d’une certaine retenue, mais pas Junior.
Rendu au niveau de conscience qu’il devait avoir après trois jours sans sommeil (vendredi au lundi), le connaissant, il aurait probablement pris n’importe quoi sans réfléchir, et sans se méfier non plus. Car il est vrai que de toute sa vie, JAMAIS Junior n’avais été en contact avec ce produit. Toutes les drogues qui existaient autour de lui n’étaient pas aussi fortes, et exclusivement à l’usage du party. Rien ne venait d’un usage médical détourné. C’est là toute la différence.
- Tu me dis Greg que même si tu connaissais les risques, tu les as laissé prendre cette décision ?
- Oui mais Chris, J’ai 22 ans et ils en ont respectivement 28 pour elle et 35 pour lui. Ne crois-tu pas que je me suis dit qu’ils devaient savoir ce qu’ils faisaient ? Je leur ai DIT que c’était dangereux, et ils ont décidés d’y aller quand même ! J’ai pensé que la fille savait de quoi elle parlait…
- Mais non !! Elle vient du NB et n’est sortie que trois fois dans sa vie !! Elle n’a AUCUNE idée de ce que sont les drogues !! Et surtout pas un opioïde !
- Faaaaaaaack man… Qu’est-ce que je regrette. C’est la pire décision de ma vie…
Je crois qu’il est autant bouleversé que moi en ce moment. On se regarde dans les yeux, tous deux émotifs, incrédules.
- Je dois savoir Greg. Comment as-tu présenté la pilule ? Leur as-tu dit que c’était un somnifère, ou une pilule qui allait les faire dormir ?
«Bien sûr que j’ai dit que ça allait nous faire dormir ! Je leur ai dit que ça allait trop nous relaxer et que c’était de l’oxycontin mais que ça donnerait un fuckin buzz. Et la fille as dit qu’elle voulait l’essayer. On a suivi.»
Je ne sais pas ce qui me chavire le plus en cet instant. Car je suis en colère après Junior maintenant. Est-ce qu’il avait bien compris le danger ? où n’a-til retenu que le bout de phrase qui dit que «ça fera dormir» ? Je suis en colère après Greg pour avoir mis ce produit à la disposition de Jun, mais j’ai bien peur, que la seule responsabilité de ce drame n’en revienne qu’à Junior lui-même pour avoir de lui-même décidé de consommer le produit.
Il poursuit
«Et tu sais comment Jun aime la coke. Écoute man, quand on s’est couché il restait une roche sur la table, peut-être 2 grammes. Et j’ai réalisé en ramassant que il n’y en avait plus. Ça voudrait dire que même après qu’on a fait le fentanyl, et après que je sois allé me coucher, Jun a sniffé encore, et il aurait pratiquement tout pris. Avec ce qu’on a pris dans la nuit, la boose, la morphine et tout ça de coke… ça ne laissait pas de chance.»
En effet, mais cela n’en faisait pas moins de lui une victime de cette drogue, même si tout le volet de la responsabilité venait de basculer. Vers Junior lui-même. À force de n’être jamais satisfait et de toujours chercher plus, il avait atteint, que dis-je, dépassé la limite à ne pas franchir.
Bon !
Cela expliquait peut-être les circonstances menant à l’action à l’origine de la fin de vie de Jun, mais n’éclairaient en rien ce pourquoi ils avaient sorti le corps de Jun sur le trottoir.
- Et dis-moi, comment vous êtes-vous rendu compte de sa mort ?
«On a pris le comprimé vers 1030-11h, et ça a été incroyable man… On flottait! Je feelais tellement bien man. On avait du fun, mais un moment donné je me suis mis à suer et à suer… J’avais trop chaud, ça allait pu, et je suis allé dans mon lit. J’ai cru que je tombais en OD man…»
- C’est quoi OD?
- Over Dose…
- Ok
Et il poursuit.
«Je me suis mis à trembler et à suer ma vie. J’étais en mauvaise état et j’ai bien cru que j’y passais. Je suis allé m’étendre sur mon lit et j’ai perdu conscience, probablement une heure ou plus, je ne sais pas.
Un moment donné, Tanya est venu me joindre dans le lit, on était trop stone man… je sais pu ce qui s’est produit. Mais encore plus tard, je me suis fait tirer du lit par la fille qui hurlait dans le salon.
Je ne comprenais pas ce qui se passait man… je ne pouvais même pas marcher. J’ai rampé je crois jusqu’au salon, jusqu’au divan ou j’ai vu Junior. La fille était en panique et elle dégueulait partout, elle criait, c’était l’enfer man…
Me semble qu’on a appelé Kevin pour lui dire de s’en venir…
Je sais pu. J’ai tout essayé dans l’état que j’étais. Junior avait les yeux ouverts, mais il respirait plus et ses lèvres étaient bleues. Il était dur quand y touchait, froid. Je ne savais pas quoi faire, on était trop stone. J’ai essayé de faire le RCR, mais je n’étais pas capable. Je m’en veux man, t’as pas idée…
Mon coloc s’est levé aussi, on était tous en panique, y’avait de la dope partout, that was a mess man… et la fille qui a dégueulé, ça puait. C’était l’enfer. Alors on a décidé de sortir Junior pour demander de l’aide. On n’était presque pas capable de marcher. J’ai fait ce que j’ai pu man, mais tu comprends qu’on devait sortir Junior de là. Et pour avoir cette teinte là il était mort depuis combien de temps ? Je sais pas.»
- Pourquoi justement deviez-vous sortir Junior à ce point?
«Écoute, j’en suis pas fier, mais tu sais ce que c’est quand on fais le party. Il y avait «du shit» partout man… Il y avait du jus, de la coke partout, des pills, des miroirs, des pailles, des pipes, des bouteilles d’alcool et des fioles de K… On ne pouvait pas faire entrer la police man… La priorité était de cleaner la place, mais on ne pouvait pas faire ça et s’occuper de Jun.
Et à un moment le bras de Jun a bougé, et il s’est vidé d’air, et la fille a crié, donc on a voulu se dépêcher pour l’ambulance, mais c’était juste un spasme. Il était couché sur le dos, sur le divan, les yeux ouverts.»
Mon cœur est broyé. J’apprends qu’il a eu un spasme, me renvoyant un doute immédiat sur son état d’alors. Était-il vivant ou moribond ?
- Tu es convaincu qu’il était mort ? BORDEL GOERGE ? Est-ce qu’il a bougé ? ou demandé de l’aide ?
«Et on était tellement stone man… J’ai rappelé Kevin, ou Tanya, je sais pu. Je te dis, je voyais tout croche et comprenait pas, tout était irréel. J’ai voulu lui donner le bouche à bouche mais ses lèvres étaient dures, ça m’a écœuré aussi. C’est mon coloc qui a dit de sortir Junior pour permettre aux ambulances de le localiser plus vite, et pour trouver quelqu’un pour lui donner le RCR je pense. C’est lui qui a appelé 911.»
Je suis en ce moment au comble de mon indignation. Car il est ici LE point qui m’a tant fait souffrir depuis deux semaines. C’était précisément sur CE point de l’histoire que s’empalaient toutes nos valeurs et nos principes de dignité humaine. À quoi ces gens avaient-ils réfléchi en allant à l’encontre de l’éthique humaine en outrageant un cadavre au seul nom de se sauver le cul…
Et maintenant que j’apprends que Jun a bougé un bras, et lâché un râle. Je tremble de l’intérieur envahi d’un horrible doute.
- Et comment vous y êtes-vous pris pour sortir Junior jusqu’à l’ascenseur et sur la rue? Lui avez-vous porté assistance ?
«Ho non ! Pas d’ascenseur, j’habite au rez-de-chaussée d’un petit bloc de deux étages à côté de là où habitait Jun dans le temps. On a juste eu a passer ma porte et celle de l’extérieur du bloc et on était sorti.
Rendu dehors je sais pu, me semble que je suis resté avec Jun ½ h pour lui faire le RCR, mais en même temps je sais pu. Y’a quelqu’un qui a passé, qui s’est penché. Tanya était pas là. Je me suis fait tirer un moment donné par le chandail, je suis retourné en dedans, on a ramassé. Les polices sont arrivées, et l’ambulance aussi.
Et là je sais pu trop. Tanya était dans un coin. Man, j’étais pas capable d’écrire pendant trois heures. Trop stone et trop toute ! Les policiers étaient là après nous autres en posant des questions, mais j’étais pas capable de répondre ou de remplir le rapport. C’était l’enfer man.»
- Et Junior dans tout ça ? Vous l’avez sorti, et laissé là juste pour aller ramasser vos cochonneries à l’intérieur ? Pour vous sauver le cul ? Il était seul quand l’ambulance est arrivée, TE RENDS TU COMPTE MAN?
- Non dis pas ça man c’est pas vrai ! Je suis resté avec lui jusqu’à l’arrivée des paramédics, si c’est pas moi, il y avait quelqu’un. Mais c’est vrai que j’étais pas là quand ils sont partis avec.
J’ai de la difficulté à me maintenir, mais en même temps je déteste ça, car malgré moi je ressens de la compassion pour eux, pour le drame terribles qu’ils ont vécus. Ce devait être horrible.
- Aviez-vous un gun ?
Il ne répond pas et baisse la tête en se tournant légèrement. J’ai l’impression d’avoir un chien qui vient de pisser en face de moi.
Je suis ici cependant aussi en face de moi-même.
Qu’ai-je réellement besoin de savoir sans pour autant me compromettre moralement ? Je préfère ne pas effrayer la poule et bénéficier de ses œufs que de la tuer et d’en rester là. Car si mon envie de bas instinct est de faire cuire ce mec pour le servir à la police pour meurtre, ou aux dealers pour trafic illégal d’opiacés, il n’en demeure pas moins LE témoin le plus proche de la mort de Junior à qui j’aie pu parler. Et je suis chanceux de ça.
Combien de gens dans leurs vies n’auront jamais les réponses à toutes ces questions qui viennent vous hanter après la mort subite d’un être aimé… J’avais failli ne jamais dormir en paix, mais grâce à tout un jeu de diplomatie, de contacts d’amis et par l’adoption d’une approche réfléchie j’avais réussi à obtenir une rencontre avec «L’Homme par qui la mort s’était présentée à l’Amour de ma Vie».
C’était très important, pour ma propre guérison. Et pour la compréhension de ce qui s’était réellement produit.
Depuis des semaines nous ne vivions que sur des hypothèses, des suppositions et des apparences de conspiration. Le doute est le pire des acides, car il corrompt l’âme et atteint le cœur. Il est un fiel qui s’infiltre au fonde des rêves et empoisonne l’avenir. Le seul antidote, est «le savoir». Même si cela est difficile, il faut connaître la vérité afin de comprendre, accepter, et faire la paix.
Nous ne sommes pas obligé d’être en accord avec le fait, mais au moins, de savoir permet de comprendre, et de faire le deuil plus facilement. Le fait de comprendre les mécanismes logiques, même si horribles, ayant menés à une conséquence désastreuse permettent de cesser la recherche de coupables ou de toutes sortes de raisons qui ne trouvent plus prises en dehors du contexte.
Parfois les réponses sont en surface.
Et ici, vraisemblablement, il n’y avait pas eu de conspiration, pas de mauvaises intentions délibérées, ni même de manque de conscience ou de responsabilités. Dans un contexte de party avancé, avec un jugement plus que altéré, des gens avaient décidés consommer «une autre affaire» indifféremment qu’il s’agisse d’une pilule de vitamine, de cyanure, d’un médicament ou de laxatif. À ce niveau de conscience, ils auraient gobé n’importe quoi. Dans cet état, sans réfléchir, ils avaient tout de même pris la décision, chacun entrainé par l’autre, de chacun avaler un de ces comprimés.
À ce niveau, nous pourrions dire que Greg aurait simplement du interdire cela. Oui c’est vrai. Je déteste ça, et ne peux croire que je le pense, merde ! Mais dans le contexte, qui sait ce que quiconque aurait vraiment fait… ?
Et je connais mon moineau.
Je sais très bien que dans la tête de Junior, même si je l’ai averti 1000 fois contre le fait de trop en prendre, même si ses amis lui ont dit, même si sa mère lui aurait dit, je sais qu’à ce moment précis, il n’avait plus aucune capacité de jugement pour se protéger. Junior was «never satisfied…»
And THIS is the result.
Je sais donc que personne ne l’a forcé à prendre le comprimé. C’est donc à lui que revient la responsabilité de sa propre mort. Je suis en furie après Junior. MAIS PUTAIN ! POURQUOI T’AS PAS SU TE SATISFAIRE ??
Respire… respire.
Je n’allais donc pas creuser plus loin sur ce «morceau» qu’il avait fallu faire disparaître au plus vite avant l’arrivée des polices dans l’appart de Greg. Et j’ai décidé aussi d’accepter l’explication de «rechercher de l’aide pour le RCR» comme cause légitime pour justifier le fait d’avoir sorti Junior sur le trottoir, et afin «d’attendre les secours».
J’aurais préféré presque qu’il soit un monstre ignoble et sans cœur afin de pouvoir le haïr à mon gré. Mais non. Ce gars avait été le porteur de mort, mas pas l’exécutant. Il était un jeune homme de 22 ans, travaillant son cul dans un resto pour payer son appart à lui et sa sœur, qui vendait un peu de drogue pour lui payer l’école, et qui avait fait la pire erreur de sa vie en voulant plaire à une fille.
Ils avaient tous faits des OD. L’un d’entre eux y était resté. Statistiques.
Junior était devenu une statistique sur le taux de mortalité dû au Fentanyl au Canada.
Maintenant que je sais qu’ils avaient un gun, au moins je le sais. Mais ce n’est pas ça qui a tué Junior. Je poursuis donc avec une question qui me triture malgré tout. (réécouter 0006 50min by the end)
- Donc, ce que tu me dis, vous avez réussi à nettoyer la place, avant l’arrivée des polices ? Car les policiers sont venus et sont rentrés dans l’appart n’est-ce pas ? Ils n’ont pas vu et ne savaient pas que tu étais un dealer ?
- Oui ils sont venus. On leur a remis le téléphone a Junior, comme je t’ai dit plusieurs fois. Non ils ne savent pas pour moi, on avait tout ramassé et on a fait le rapport de police. Mais je pouvais pas écrire, alors j’ai pas été capable de me relire après. Et à la seconde on a dit que on avait pris de fentanyl, ils ont dit «open-shot case». Il y a tant de gens qui meurent de ça, qu’ils ne font même pas d’enquête.
- Et Tanya elle ?
- Je sais pas vraiment, je connais pas cette fille. Je ne l’avais jamais vu avant. Elle est reparti au NB à ce que j’ai compris.
- Et ton coloc ?
- Parti à ce moment-là je crois…
Je suis furieux. Aucun témoin fiable.
Le coloc s’évapore, et la fille se fait menacer de poursuite policière jusqu’au NB par les deux matrones, ce qui expliquait qu’elle elle ne voulait plus parler à personne. Tout ce dont j’en avais entendu parler était à travers Seb et les autres. Ha oui ! Je lui avais parlé aussi, dans cette fameuse discussion post-stereo que j’avais eu avec elle. La seule d’ailleurs. Supposément trop «hard» m’avait-on dit…
Vas chier «trop hard».
Tu es l’un des deux seules témoins au monde de la disparition d’un gars, et tu fou le camp sans parler à personne de ce qui s’est passé ? T’as même pas les putains de couilles de te présenter la face et au moins d’appeler les gens pour expliquer ce qui s’est passé ? Leur offrir LA PAIX en sachant ce qui s’est passé…?
Trop hard ?
Ta gueule.
Mais je règlerais mes comptes plus tard avec elle.
Pour l’instant je suis avec je dois rester concentrer sur ma rencontre du moment. Et parlant de cela, le patron du resto viens nous faire signe «Tu devrais bouger ta voiture si tu es stationné de l’autre côté de la rue, sinon ticket ! »
Nous interrompons donc la conversation afin que je déplace la voiture en lieu sûr. J’en profite pour réajuster mon enregistreuse.
«You know Chris, we did what we can until the firefighter took over, and we had to stay for police, and when the ambulance left, Kevin arrive and jump in it. We made our statement, and wait.
Kevin came back after hospital and announce the bad news.
I was sick, Tanya also, that was bad. She left for NB the day after, and I also had to quit for few days.
Et tu connais la suite…»
En effet.
Nous réglons la note au patron, et tandis que lui reste là pour son quart de travail, je me dirige vers ma voiture pour retourner chez moi.
Soulagement, je me sens beaucoup plus en paix, car je sais ce qui s’est passé. Et je sais que Jun n’a pas souffert. Pas du tout, car il est mort sur un trip de morphine. Il n’a même pas eu le temps de fermer les yeux, et a juste cessé de vivre. Il n’a pas eu de soubresaut, pas eu peur, rien. Mon amour s’est envolé comme une volute de fumée et s’est juste laissé aller au bonheur total de la morphine. Merci Seigneur, tu as repris cette homme comme un ange qu’il était.
J’ai l’impression que je recommence à respirer.
Cette nuit du 8 décembre 2015 fut la première où je dormis en paix.
Je t’aime Junior.
Mais putain ce que t’as été con !
Retrouvez toute l’histoire de Junior dans la catégorie Junior & Chris Love Story au lien suivant : https://lesparolesdechris.ca/category/junior-chris-love-story-2005-2015/
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Note de rédaction pour l’auteur : MOD 7 DEC 17 / DRAFT 85% – NON CORRIGÉ

